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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/193

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C’est égal… va… cette mort est douce… mon Just bien-aimé… Je meurs avec ta pensée.

« Un cri déchirant que je poussai involontairement a arraché Madame de Montbar à l’espèce de délire où son esprit s’égarait.

« Elle a paru sortir d’un rêve, a tressailli, s’est redressée brusquement et m’a dit d’un air hagard, en passant ses deux mains sur son front :

« — Est-ce qu’il y a longtemps que nous sommes là… Georges ?

« Les larmes me suffoquaient ; heureusement la nuit était presque venue. Ma femme ne s’est pas aperçue que je pleurais ; je lui ai répondu :

« — Oui… il y a assez longtemps… Mais il se fait tard… Voulez-vous rentrer ?

« — Comme vous voudrez, mon ami, — m’a-t-elle répondu doucement sans remarquer l’altération de ma voix.

 

« J’ai interrompu cette lettre, mon ami ; je souffrais trop pour la continuer.

« Vous savez tout, maintenant… je n’ai qu’un seul parti à prendre… et vous me le conseillerez, j’en suis certain ; c’est de partir demain… de rendre la liberté à Madame de Montbar…

« La malheureuse femme se meurt… et c’est mon aveuglement, c’est ma lâcheté qui la font mourir.

« Demain donc je m’éloignerai.

« Dans l’état où se trouve Madame de Montbar, l’annonce de ce brusque départ lui porterait un coup funeste par l’excès même du bonheur qu’elle ressentirait… je lui écrirai que je fais seulement un voyage de quelques jours ; puis, je lui apprendrai de loin, peu à peu et avec ménagements… la bonne nouvelle.

« Heureusement… Régina sera heureuse ; malgré mes invincibles ressentiments contre… cet homme, j’ai confiance dans les rares qualités de son cœur… je ne doute pas… je n’ai pas le droit de douter qu’il ne soit pour elle ce qu’il doit être.

« Une dernière fois… adieu et merci… mon ami… Oh ! oui, merci, car vos sages et affectueux enseignements ont germé dans mon âme, et si, dans la vie douloureuse à laquelle je suis désormais condamné, quelques consolations me sont réservées… je les devrai à l’apprentissage du bien, à l’habitude des idées généreuses, élevées, utiles, à l’aide desquelles j’avais espéré reconquérir le cœur de cette