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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/203

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que Martin était son fils… pensée d’une légitime, d’une généreuse fierté… pensée d’un bon orgueil, si cela se peut dire, le comte retomba bientôt dans les ressentiments de l’orgueil le plus détestable : il se révolta contre la haute valeur morale de ce fils dont il s’était un instant félicité ; l’envie, la haine, la colère, la honte lui soufflèrent au cœur les plus mauvaises passions. Dans sa joie cruelle, il se disait qu’au moins Martin était en prison, qu’il y resterait longtemps, car lui, Duriveau, le chargerait de toutes ses forces, userait de toute son influence, et elle était grande, afin de lui faire infliger une condamnation sévère, pour se débarrasser ainsi de la présence d’un misérable qui lui inspirait autant d’aversion que de crainte.

Puis, comme l’homme le plus méchamment perverti (surtout lorsque dans sa jeunesse il a connu des sentiments humains, généreux, et M. Duriveau avait ainsi commencé), comme l’homme le plus méchamment perverti, disons-nous, ne peut, quoi qu’il fasse, fermer tout à fait les eux à l’auguste splendeur des grandes vertus, le comte, après avoir écouté son funeste orgueil qui lui disait de haïr Martin… écoutait sa conscience, son cœur paternel qui lui disait d’estimer, d’aimer ce digne et valeureux enfant.

Alors cette première tempête de détestables passions s’apaisait devant la puissante autorité du juste et du bien… comme les nuages des tourmentes se dissipent à l’éclat du soleil ; le comte subissait de nouveau la douce, la pénétrante influence des rares qualités de Martin… Il admirait cette résignation souvent douloureuse, mais jamais souillée par un seul instant de révolte ou de haine contre sa terrible destinée, contre le père sans entrailles, qui la lui avait faite, cette destinée !!!… Jamais, dans ces pénibles confessions, le comte n’avait trouvé une parole de malédiction contre la société marâtre qui l’avait insoucieusement abandonné, lui Martin, dès son enfance, à tous les hasards de l’ignorance, de la misère et du vice…

Non, non, résignation, — sacrifice, — devoir, — ces trois mots disaient la vie de cet infortuné.

Il y eut surtout un moment où M. Duriveau ne put contenir son émotion en lisant ces deux lignes qui semblaient résumer la conduite de Martin envers Régina, Just et le prince de Montbar :

Il n’est pas de position, si infime qu’elle soit, où l’homme de cœur ne puisse faire acte de dignité.

Maxime touchante dont Claude-Gérard avait donné à Martin l’enseignement et l’exemple.