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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/207

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moi… Claude Gérard, pour vous dire à mains jointes, au nom de Martin… au nom de votre autre fils, au nom de vous-même, soyez bon, soyez père… accomplissez les promesses que vous m’avez autrefois faites lorsque je vous ai laissé une vie que j’avais le droit de vous ôter. Oh ! repentez-vous… amendez-vous.., sinon… je vous dis que je vois la main de Dieu prête à s’appesantir sur vous !

— Et je me laisserais imposer… intimider par tes jongleries, vieux misérable… — s’écria le comte, d’autant plus furieux, qu’un moment, malgré lui, il avait été épouvanté des menaces prophétiques de Claude en songeant à Basquine et à l’influence qu’elle avait sur Scipion, influence que la lecture des mémoires de Martin faisait paraître au comte plus effrayante, plus redoutable encore ; mais son indomptable orgueil se révoltant bientôt, il reprit, s’adressant à Claude Gérard :

— Ah ! tu crois avoir affaire à un homme lâche et crédule ? Ah ! tu viens me parler de morte, d’enfant trouvé… de justice du ciel ? Pardieu ! tu adresses bien. Eh bien ! je te dis, moi, Monsieur le prophète, que la justice est pour moi, car la morte est dans sa bière et le bâtard est en prison.

À ces exécrables paroles, Claude Gérard se releva lentement, ne répondit pas un mot, jeta un dernier regard de pité mêlé d’effroi sur le comte et fit un pas pour sortir.

— Arrête !… — s’écria M, Duriveau en se précipitant sur le braconnier, — si tu as échappé aux gendarmes ainsi que ton complice, tu ne m’échapperas pas, à moi… et le bâtard sera rattrapé… quand je devrais donner mille louis pour sa prise !

Claude Gérard repoussa si rudement M. Duriveau, que celui-ci, perdant l’équilibre, tomba à demi renversé sur son fauteuil pendant que le braconnier fut d’un bond dans le cabinet de toilette, enferma le comte dans sa chambre à coucher en donnant un tour de clef à la porte, puis sautant par la fenêtre qu’il avait prudemment ouverte pour assurer sa retraite, il disparut rapidement à travers les bois du parc.

Quant à l’apparition inattendue de Claude Gérard dans la chambre de M. Duriveau, elle s’explique ainsi :

Le trajet de la métairie du Grand-Genévrier au bourg le plus voisin était long et dangereux, il fallait traverser près de deux lieues de tourbières et de marais presque impraticables pour ceux qui ignoraient les quelques veines de terrain solide qui sillonnaient ce sol marécageux et mouvant.