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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/208

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Beaucadet et ses gendarmes étaient à cheval ; une fois la lune couchée, ils se trouvèrent dans l’obscurité : la tempête soufflait avec violence, les cavaliers ne pouvaient s’avancer qu’avec une lenteur et une prudence extrême à travers ces marécages, où leurs chevaux enfonçaient parfois jusqu’au ventre.

Les deux prisonniers se trouvaient donc à peine surveillés ; ayant entendu Beaucadet conseiller à M. Duriveau une visite domiciliaire dans le réduit occupé par son valet de chambre, Martin frémit… ses Mémoires pouvaient ainsi tomber entre les mains du comte ; tout bas il fit part de son anxiété à Claude Gérard ; celui-ci avait les mains liées ; mais profitant de l’embarras où se trouvaient les gendarmes, et de l’hésitation de leur marche, embarras nul pour le braconnier depuis longtemps habitué à parcourir toutes les passes de ces marais, et qui, accoutumé d’errer la nuit, était devenu presque nyctalope, Claude Gérard répondit tout bas à Martin :

— Prends mon couteau dans ma poche, coupe mes liens, à la première occasion ; je réponds du reste.

Cette occasion ne se fit pas attendre ; Beaucadet venait de crier à l’aide en sentant son cheval pour ainsi dire disparaître sous lui au milieu d’une fondrière ; profitant de cet incident qui absorba l’attention des gendarmes, Martin coupa les liens de Claude ; en deux bonds celui-ci atteignit un étroit sentier qu’il connaissait, et il avait disparu au milieu des ténèbres de plus en plus profondes avant que les gendarmes eussent pu seulement se douter de sa fuite.

Claude Gérard s’était dirigé en hâte vers le château du Tremblay. Il devait passer près d’une métairie isolée, où la mère de Martin avait été transportée. Claude, sûr de la discrétion du métayer, car il était bien souvent serviable à ces malheureux, y entra… afin de se rassurer sur l’état de Perrine Martin… Le métayer et sa femme, fondant en larmes, ne voulurent pas laisser Claude Gérard pénétrer dans la pauvre chambre où Perrine avait été transportée… Il comprit.

À ce coup terrible il chancela. Mais se rappelant le devoir impérieux qui l’appelait au château, il poursuivit sa route, franchit aisément la haie du parc, et arriva jusqu’aux bâtiments.

La porte du couloir de service où aboutissait l’escalier de la chambre de Martin, était rarement fermée intérieurement, les domestiques qui s’attardaient dans le village se ménageant toujours ce moyen de rentrer sans bruit au milieu de la nuit. Martin avait, par précaution, remis une double clef de sa chambre à Claude Gérard ; celui-ci put