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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/26

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ou bien avait-elle déjà été atteinte par la vengeance du comte Duriveau ?

Ces pensées me vinrent si rapides, qu’elles s’étaient présentées à mon esprit pendant le temps que mit Régina à gagner son parloir. Après avoir jeté son manteau sur un fauteuil, elle me dit :

— Vous n’oublierez pas, ainsi que je vous l’ai recommandé, d’aller demain matin, à huit heures, vous informer des nouvelles de mon père…

— Je ne l’oublierai pas, Madame la princesse.

Régina ne me donnant pas d’autre ordre, je m’éloignai ; elle me rappela et me dit :

— Comme vous ne serez peut-être pas revenu à l’heure où je voudrai sortir, vous recommanderez à la porte que l’on me fasse avancer un fiacre pour huit heures et demie…

— Alors, Madame la princesse ira chez la femme Lallemand ? — dis-je à Régina.

Elle était debout devant la cheminée, lorsque je lui fis cette question ; elle se retourna vers moi d’un air à la fois si étonné, si altier, que je compris l’indiscrète familiarité de ma demande ; je baissai les yeux tout interdit. Probablement là princesse s’aperçut de ma confusion, car elle me dit avec bonté :

— N’oubliez pas d’aller chez mon père ; à votre retour, vous vous occuperez de soigner cet appartement et mes fleurs, ainsi que je vous l’ai dit ce matin.

Je sortis après avoir laissé retomber la portière du parloir.

Je restai involontairement une seconde à peine ; ce temps me suffit pour entendre Régina, tombant dans un fauteuil, s’écrier avec un accent de lassitude, d’ennui, de douleur inexprimable :

— Seule… mon Dieu !… toujours seule… oh ! quelle vie !… quelle vie !…

Effrayé de l’espèce de secret que je venais de surprendre, je me hâtai de quitter l’appartement de la princesse, je fermai soigneusement la porte extérieure, et je remontai dans ma chambre, oserai-je me l’avouer à moi-même, avec des pensées moins amères que lorsque j’avais vu Régina partir pour le bal dans tout l’éblouissant éclat de sa parure et de sa beauté.