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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/285

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je devais tirer de Scipion et de son père, vengeance terrible… car c’était du même coup venger Bamboche… toi et moi… Cette œuvre sanglante, je l’ai accomplie… sans pitié… sans remords, et puis je suis retombée dans mon accablement, et plus que jamais… j’ai dit… je dis… gloire, amour, richesse, charité, vengeance… et pardonne ce blasphème, ô mon frère… amitiévanité… tou est vanité… je suis devenue dévote, tu le vois… sauf la religion, et… je…

Basquine ne put continuer : son énergie fébrile, soutenue par un incroyable courage… faiblit tout à coup ; ses yeux se troublèrent ; ses lèvres, déjà froides, devinrent violettes ; elle trembla convulsivement, ses dents s’entrechoquèrent.

— Mon Dieu, Basquine… qu’est-ce que tu as ? — s’écria Martin. en courant à elle, et l’aidant à s’asseoir sur le lit de la cellule ; — puis, de plus en plus effrayé, il ajouta : — Bamboche, mais vois donc… Basquine…

— Je la vois bien, — dit le bandit en abaissant ses mains qui jusqu’alors avaient à demi caché son visage, et il montra ainsi à Martin des traits déjà défigurés… par les approches de la mort.

— Ciel !… qu’avez-vous tous deux ? — s’écria Martin, — du secours… du secours !…

— Silence, — lui dit Basquine en faisant un dernier effort pour mettre sa main glacée sur les lèvres de Martin. — Laisse-nous… Bamboche échappe à l’échafaud… moi… j’échappe à la vie !!!

— Ah ! c’est horrible… tous deux !!! — s’écria Martin bouleversé. — Le poison !!! peut-être !!!

— Oui, — dit Basquine, — dans une bague… que j’avais au doigt… Le geôlier n’a rien vu…

— Oh ! — s’écria Martin, — si jeune… si belle… mourir ainsi désespérée !!

— Et à ce moment encore… et… plus amèrement que… jamais… je… dis : Après ? — murmura Basquine d’une voix expirante.

— Adieu, Basquine, adieu, Martin, — ajouta Bamboche à l’agonie, — je meurs comme un chien, je ne crois… je n’ai cru à rien… mais j’ai été fidèle… aux… serments… de… notre… enfance.

Et écartant d’une main défaillante, les revers de sa casaque de prison, il mit à nu sa large poitrine, sur laquelle on lisait ces mots tatoués en caractères indélébiles :

Basquine pour la vie. Son amour ou la mort. 15 février 1826. Amitié fraternelle et pour la vie à Martin. 10 décembre 1827.