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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/29

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— Depuis quand ma fille est-elle malade ? Qu’a-t elle ? Est-elle alitée ? Répondez… répondez donc.

Melchior me coupa la parole, et dit à son maître avec un sourire sardonique :

— Je peux rassurer Monsieur le baron : hier encore Madame la princesse est allée au bal ; son indisposition n’est donc, heureusement, que fort légère.

— Madame de Montbar est allée hier au bal ? — me demanda le vieillard.

— Oui, Monsieur le baron, — lui dis-je ; — mais, au retour, Madame la princesse semblait bien abattue… bien fatiguée.

— Fatiguée ?… d’avoir dansé ?… — reprit le baron ; et une ironie amère remplaça sur ses traits l’expression d’intérêt dont ils avaient été empreints en parlant de sa fille. Le mulâtre offrit son bras à son maître d’un air triomphant, et tous deux rentrèrent dans l’intérieur de la maison.

Malgré la mauvaise issue de mon entrevue avec le père de la princesse, je m’applaudis d’avoir découvert que le baron, quoique malheureusement persuadé que Régina n’était pas sa fille, avait conservé pour elle un attachement qui devait souvent lutter dans son cœur contre l’aversion qu’il s’efforçait de lui témoigner ; de plus je remarquai que Melchior paraissait haïr Régina et user de l’influence qu’il devait avoir sur le baron pour l’irriter contre sa fille.

Je quittai la maison de M. de Noirlieu, heureux de penser que peut-être le récit du petit incident dont j’avais été témoin ferait plaisir à Régina en lui prouvant que le baron conservait toujours un fonds d’affection pour elle.

À cette bonne espérance, j’avais presque oublié mes préoccupations au sujet du comte Duriveau, lorsqu’un incident imprévu, insignifiant en apparence, vint changer mes soupçons en une certitude effrayante :

Le baron de Noirlieu demeurait faubourg du Roule ; j’étais revenu au faubourg Saint-Germain par le pont Louis XV et le quai d’Orsay ; j’atteignais le milieu de la rue de Beaune, lorsque je vis venir à moi, marchant très-vite, Madame Gabrielle, la femme de charge du comte Duriveau ; celui-ci demeurait rue de l’Université, l’hôtel de Montbar était situé rue Saint-Dominique. Je n’attachai d’abord aucune importance à ma rencontre avec Madame Gabrielle ; seulement me trouvant bientôt en face cette femme que javais vue la veille, je