Aller au contenu

Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/292

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Pourrions-nous savoir, Madame, — lui dit Just en la saluant avec une parfaite politesse, — à qui appartiennent ces magnifiques bâtiments ?

— À moi… Monsieur, — répondit naïvement la Robin en faisant sa plus belle révérence.

— Comment ! à vous ? — s’écria Just sans cacher sa surprise, — Ces magnifiques bâtiments sont à vous ?

— Oui, Monsieur, — reprit la Robin sans la moindre fierté, — c’est à moi… et c’est aussi… à Petit-Pierre que voilà.

Petit-Pierre était une autre de nos connaissances, c’est-à-dire le petit vacher que nous avons vu pâle, les yeux caves, éteints, les lèvres blanches, à peine vêtu, marchant pieds nus, épuisé par les fièvres qui le minaient depuis sa naissance ; mais au moment où nous le revoyons, le petit vacher est méconnaissable, il n’est plus pâle, le sulfate de quinine[1], habilement administré à plusieurs reprises, a depuis longtemps coupé les fièvres. Une nourriture saine, des vêtements chauds, de bonnes chaussures, une habitation salubre, et surtout le complet assainissement du pays, ont assuré la guérison de l’enfant ; et il eût été impossible de reconnaître le pauvre petit vacher de la métairie du Grand-Genévrier dans ce jeune garçon bien vêtu, à la joue rebondie, aux yeux pétillants, à la démarche vive et alerte.

Petit-Pierre traversait la cour au moment où, le désignant à Just et à Régina, la brave Robin le citait comme l’un de ses co-propriétaires. L’enfant, croyant que la Robin l’appelait, s’avança de quelques pas ; puis, soudain, il s’arrêta timidement à l’aspect des étrangers.

Just, de plus en plus étonné, dit à la Robin :

— Ainsi, ce jeune garçon est, ainsi que vous, Madame, propriétaire de cet établissement ?

— Oui, Monsieur, et aussi propriétaire de toutes les terres, de tous les bestiaux, de tous les chevaux, de toutes les volailles, de toutes les récoltes… enfin, il est propriétaire de tout, quoi… ni plus ni moins que moi… et que les autres !

  1. Disons en passant que ce médicament souverain pour la guérison des fièvres intermittentes qui déciment les populations de Sologne, est d’un prix tellement élevé, qu’il est matériellement impossible aux prolétaires des campagnes de s’en procurer, et de payer la visite du médecin qui en réglerait l’emploi ; le prix du médicament seul en quantité nécessaire pour guérir la fièvre, et en admettant qu’il n’y ait pas rechute (ce qui arrivera infailliblement deux ou trois fois avant la guérison complète), le prix du médicament, disons-nous, absorberait le pain de toute une famille pendant quatre ou cinq jours.