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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/322

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302 LE BERGER DE KRAVAN.

» sa lerre avec cela, Un voisin lui a prêté du seigle de semenñcé, à la seule condition de le » lui rendre mesure pour mesure. La récolte a été assez borné cette année-là : elle nous » à rapporté de quoi payer l’impôt, le mousieur du bourg, et de quoi vivre pendant cinq » mois. Heureusement mot homme avait planté un quartier de pomme de terre, çà fous » a fait vivre jusqu’ici ; mais il ne nous en reste plus que pour quelques jours, et depuis » avant-hier, faute de bois et de feu, nous les mangeons crues. Enfi il y atrois mois, » mon homme, tout en disant faut que ca marche, était devenu si faible qW’il lui a fallu » s’aliter au temps des labours ; voilà notre terre en friche et le temps dés sémailles quasi » passé... Qu’est-ce qu’il va nous arriver ? Hélas ! bien dés péines. -— Nous nous som- » mes défait pt à petit de nos meilleurs meubles et d’un peu de linge que nous avions. » Si nous ne pouvons pas payer le monsieur du bourg, on vendra no$ trois arpents et la » maison ! combien ? pas grand’chose... la maison S’eflondre ; le toïît, vous lé voyez, est » à jour et nous sommes trop malheureux pour lefaire réparer ; la terre, déjà bien maigre, » est épuisée faute de fumier ; ‘31 lui faudrait peut-être deux ans dé guéret pour se repo- » ser. Etsi l’on vend notre bien, tous frais payés, qu’est-ce qui nous réstera ? presque » rien ; et si j’ai le malheur de perdre mon pauvre honithe, faudra {done que j’aille men- » dièr sur la route avec mes enfants |

» — Mais, ma pauvré femme, — lui dis-je, — vous n’avez donc pas demandé de se- » cours à la commune depuis que votre mari est malade ?

» — Des secours ! monsieur, la commune est si pauvre ! et d’ailleurs l’on m’a répondu : — » La Aurbaut, Vous etvotre mari, vous êles propriélaires, vous avez du bien... il y éh » a de plus à plaindre que vous. — C’est la vérité, monsiéur.., mais nous sommes aussi » très à plaindre pourtint, quoique nous soyons propriétaires,

» — Ilest vrai... on‘he vient au secours que de ceux-là qui ne possèdent rien, = lui » dis-je ; — Mais en voyant, au temps des labours, votre mari alité, hors d’état de pré- » parer sa térre pour les semailles, vous auriez pu prendre un journalier pour travailler » à votré chimp. ;

ÿ — Et le payer, monsieur, ce journalier, avec quoi ?

» — Ne pouviet-vous pas lui proposer une partie de la prochaine récolte ?

» — Hélas ! mon Dieu, monsieur, qui est-ce qui aurait voulü de cé marché-là ?.…. 5 Faut-il pas que le journalier trouve chaque jour son pain au bout de sa pioche ? Est-ce » qu’il a le temps d’attendre six mois pour se payer sur une récolte ? et eñcore celle récol-

» te, qui dit qu’éllé sera bonne ! notre pauvre terre est si maigre dépuis que pour la fumer

Le

» nous n’avons plus de vache ! 5 — 1lest vrai, — répoudis-je à cette pauvre femme, frappé de ces raisons, eéffrayé de

tant de misère, et pensant qu’il était des propriétaires non moins à plaindre que les mal-

heureux qui ne possèdent rien.

— C’est ce que jé vous disais tout à l’heure, monsieur, — reprit le père Mathurin, — et il y en a fièrement de ces propriétaires-là, allez, monsieur !

Pendant que je m’entretenais ainsi avec sa femme, le malade avait continué de gémir. Quelques détails que me donua sa compagne de malheur me firent penser que [a maladie provenait sans doute d’épuisement. Enfin mon messager revint. On était allé de chez mo ; énhâte à Beaugeney chercher un médecin ; en attendant, on apportait dans une petite charrette du vis, du bouillon, du paio, du sucre, quelques couvertures, de la chandelle et du bois. Lorsque la lumière se fit dans la masure de ces propriétaires, voilà ce que je vis, père Mathurin : ün tiers de la toiture, primitivement couvertéen tuiles, était effondrée ; ün avait cherché à boucher cette ouverture au moyen de quélqes touffes de genêts entassées sur les poutres : mais ces genèts étaient déjà à demi enlevés par le vent ; à l’abri de la partie du toit encore intacte, je vis, couché sur un grabat et vêtu d’une mauvaise blouse et d’un partalon dé toile, un homme de quarante ans environ ; il frissonnait sous les lambeaux d’une vicillé couverture verte ; dans un coin dela masure, cinq petits enfants ; pâles, maigres,