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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/324

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304 LE BERGER DE KRAVAN.

III

Comment M. Charles Dupin raconte que les noces de Gurgantua ne sont que carême auprès des ripailles dans lesquelles se plongent 36 millions de citoyens francais. — Comment M. Thiers, con- tinuant le cours de ses miracles (depuis qu’il commune tous les dimanches), prouve que Jacques Bonhomme EST HABILLÉ DE SOIE ET DE POURPRE (textuel), QU’IL VIT DES ALIMENTS LES PLUS SUCCU- LENTS ET LES PLUS VARIÉS (textuel), el QUE SA DEMEURE À PRIS LES PROPORTIONS DU PARTHÉNON, DU VATICAN OU DES TUILERIES textuel). — Comment et pourquoi le père Mathurin n’avait point de dévotion du tout aux miracles du Grand sanr Thiers, qui se fait peindre, dit-on, en manière d’archange, tenant sous ses pieds et transpercant de sa lance un socialiste rouge sous forme de

dragon venimeux.

Après un moment de silence, le vieux berger reprit :

— Oh oui, monsieur, il y à autant, sinon plus de souffrances dans les campagnes que dans les villes. |

Puis, allant chercher dans son mé quelques-uns des petits livres que je lui avais prêtés el dont plusieurs pages étaient cornées, il ajouta avec indignation :

— Et c’est en présence de tant de misères que l’on ose écrire ces choses, qui m’ont soulevé le cœur, monsieur... des choses telles que celles-ci. Oui, H, Charles Dupin ose nous dire, dans son ouvrage intitulé Bien-être et concorde :

« On croira peut-être que cette simple faculté d’être propriétaire aux champs, d’être » patron dans les cités, n’aura produit que des résultats d’une lenteur désespérunte et qu’un » BIENFAIT APPARENT ; nous pouvons offrir la preuve manifeste d’un résultat tout opposé.

» Les propriétés foncières de la France, complées par propriétaires dans chaque com- » mune, forment un lotal de onze millions ; tel serait le nombre des possesseurs de biens » fonciers, si beaucoup d’entre eux n’en avaient pas dans plusieurs communes à la fois. » Cette déducuon essentielle, mais difficile à faire, réduit à environ sept millions le nom- » bre des chefs de famille propriétaires de champs ou de maisons ; si l’on admet quatre » personnes par famille, cela fera vingt-huit millions d’individus participant à Ja pro- n-priélé foncière, »

— Elles voilà bien avancés d’être propriétaires ! — s’écria le père Mathurin en inter- rompant sa lecture, — c’est, par ma foi, un grand bienfait pour eux ! comme dit ce M. Dupin, lorsque la moitié, sinon plus, de ces pauvres gens, sont aussi à plaindre que ceux que vous avez vus aux bruyères des Sablons, monsieur, Mais ce n’est pas tout : écoutez la suite.

Et le père Mathurin continua de lire :

« Au moyen âge, l’agriculture alors était encore dans l’enfance. Elle suffisait à pewe » à la chétive subsistance de quinze millions d’habitants, sur le même sol qui nourrit » mainiendnt AVEC ABONDANCE trenle-six millions de Français ; les artisans habitaient » de misérables masures qu’aucun vitrage ne protégeait contre les injures de l’air et la ri- » gueur des hivers ; les objets les plus utiles à notre babillement confortable, les souliers, » les gants, les bas, un col, une chemise même étaient autant d’articles de luxe ineonnus » au simple ouvrier, qui végétait ainsi dans un dénûment presque absolu, Tel était le » sort des habitants des villes et des campagues même à la fin du siècle si fameux de » Louis XIV.»

— Eh bien ! qu’en dites-vous, monsieur ? — reprit le vieux berger en imterrompant sa, lecure et me regardant d’un air courroucé. — Est-ce que la condition du plus grand nombre a changé depuis le temps dont parle M. Dupin ? Encore une fois, est-ce assez rire au nez de la misère de Jacques Bonhomme que de venir lui conter que trente-six millions de Français sont nourris avec abondance, quand le plus grand nombre vit, comme moi, de pain noir, de fromage sec et d’eau claire ! On osera nous soutenir que nous sommes sainement logés, que nous portons des souliers, des bas, et jusqu à des gants, lorsque sur cent paysans, propriétaires ou non, il ÿ en à quatre-vingts qui portent

En