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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/337

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LE BERGER DE KRAVAN,. 317

à vendre dans l’association ! Ah ! monsieur, on n’en finirait pas à nombrer les avantages de l’association. Eh ! mon Dieu, tenez, sans aller plus loin, est-ce qu’il n’y a pas déjà dans notre village la petite association dite du Grand-Paul et de Maigret ! ils se sont fraternellement unis cinq ou six braves et bons travailleurs, pour entreprendre à forfait et en commun des lerrassements, des défrichements, des récoltes, des vendanges, Isolés les uns des autres, ils n’auraient pu, je suppose, entreprendre un grand piochis de cinq ou six hectares, c’est trop pour un homme seul, et le propriétaire qui fait défricher ne s’arrange pas d’avoir à donner aujourd’hui un quartier à celui-ci, demain un autre. à ce- ui-là. L’ouvrage ainsi se fait mal et traîne en longueur, tandis qu’au contraire on s’a- dresse à l’association Grand-Paul et Maigret, parce qu’elle peut se charger d’un travail considérable, lexécuter rapidement et être utile en même temps aux travailleurs isolés en les appelant à elle.

— Vous le voyez, père Mathurin, la fraternité porte bonheur à ceux qui la pra- liquent,

— Oui, monsieur : le tout est de s’entendre entre soi ; et, pour moi qui connais nos bonnes gens, je sais que c’est là le difficile.

— Certes, père Mathurin, c’est là le difficile, et pourtant ceux qui composent la so- ciété Maigret et Grand-Paul ont fini par s’entendre : s’ils font un terrassement, ceiui-là pioche, celui-ci charge Ja brouette, un autre la traîne ; ils ne perdent pas leur temps à dire : — Moi, j’aime mieux charger la brouette ; c’est moins fatigant que piocher, — Moi, j’aime mieux brouetter que piocher, — Non, ils s’entendent, ils s’accordent, et le travail marche, Pourquoi s’accordent-ls ? Parce que c’est leur intérêt, car l’on a toujours intérêt à être unis. Ces associations ouvrières dont je vous ai parlé, et qui commencent à s’établir dans toutes les villes de France, elles s’accordent aussi à merveille. Pourquoi cela ? Parce que, en fin de compte, elles reconnaissent que l’association fraternelle pou- vant seule donner l’aisance, chacun préfère, pour acquérir cette aisance, vivre en bonne union de travail et en bonne amitié avec ses associés, Mais cependant, je le dis comme vous, père Mathurin, là est la difficulté ; aussi le gouvernement de la République, avant d’être tombé comme il l’est aujourd’hui entre les mains de ses ennemis, voulait, afin d’éclairer les populations sur lesavantages des associations en agriculture, faire des concessions de terrains de l’État et des avances à très-pelits intérêts aux citoyens qui auraient voulu s’as- socier, Aussi, lorsque dans un canton, je suppose, les petits propriétaires auraient vu par eux-mêmes tous les bénélices, tout le bien-être que procure l’association, et qu’ils pou- vaient arriver aux mêmes avantages avec leurs propres ressources, seulement en s’asso- ciant et en s’accordant, ils se seraient bien vite associés et accordés. Tel était l’excellent projet de M. Tourret, un de nos cultivateurs les plus éclairés, ministre de l’agriculture sous le général Cavaignacs ; mais les ministres royalistes dont M. Bonaparte s’est entouré ont trouvé le projet de M. Tourret trop républicain, trop socialiste, et ils l’ont repoussé, C’est Lout simple, cela aurait fait aimer la Répub’ique. Il en a été ainsi de la réduction de l’impôt du sel : le ministère de M. Bonaparte s’y est opposé de toutes ses forces. Pour quoi ? Parce que cela devait être regardé par les cultivateurs comme un bienfait dont ils ont su gré à la République : or, vous verrez, père Mathurin, que si les royalistes ont là majorité à l’Assemblée législative, une de leurs premières mesures sera de rétablir l’impôt du sel, toujours, selon leur belle expression, dans l’espoir de rendre ln Fépublique hideuse, et de tant lasser, tant tourmenter, tant appauvrir le pays, qu’à bout de misère et dans son ‘égarement il maudisse la République et souhaite le retour de la royauté. Mais les méchants projets seront déjoués, et l’association sera le salut dés travailleurs, et l’affer- missement, la gloire de la République, ES

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