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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/34

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comte était aussi sur le point d’arriver dans cette maison où devait se dénouer cette scène redoutable.

Enfin le roulement rapide d’une voiture se rapprocha de ma cachette, j’avançai la tête avec précaution… Bonheur du ciel ! le capitaine était dans le fiacre, ses habits de deuil rendaient plus frappante encore la pâleur de ses beaux traits altérés par une violente émotion.

Lorsque la voiture qui emmenait le capitaine eut dépassé la porte où je me tenais, je m’élançai afin de rejoindre le fiacre et de monter derrière… Alors, il m’arriva une chose à la fois cruelle et ridicule… la palette où je comptais me tenir debout était défendue, ainsi que cela se voit souvent, par un demi-cercle de fer hérissé de pointes aiguës… Le fiacre, lancé sur une descente, marchait si rapidement, que je ne pouvais espérer de le suivre longtemps en courant, ainsi que je faisais en m’attachant des deux mains aux ressorts de derrière… Je pris une résolution désespérée : appelant à mon aide mon ancienne agilité de saltimbanque et à mon souvenir le saut des baïonnettes, souvent exécuté dans mon enfance, au risque de retomber sur les pointes aiguës du demi-cercle de fer… je tentait de le franchir… Par un bonheur inespéré, je réussis… à peu près, car un cahot de la voiture me faisant trébucher au moment où je retombais sur la palette, après avoir sauté par-dessus les pointes de fer, une d’elles me laboura profondément la jambe ; ne trouvant pas de courroie pour me soutenir, je me cramponnai, comme je le pus, à l’impériale, les genoux collés à la caisse, et comprenant parfaitement que le manque d’équilibre pouvait me faire tomber à la renverse sur les piquants de fer.

Soudain le fiacre s’arrêta. Jérôme se rappelant sans doute alors le danger ou l’impossibilité qu’il y avait pour moi à monter derrière sa voiture, se dressa sur son siège et sa loyale et bonne figure se tourna vers moi avec inquiétude.

Je lui fis de la main signe de continuer sa route ; au même instant, j’entendis la voix du capitaine Just lui crier… — Cocher qu’y a-t-il ?.. Marchez donc, sacredieu… Quarante francs pour votre course… ventre à terre.

— En route ! — cria Jérôme.

Mais tout en activant ses chevaux de la voix, le brave homme trouva moyen de se retourner, d’attacher au dossier de son siège une des longes de rechange de ses chevaux et de me jeter l’autre bout en me disant :