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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/42

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Les pas s’éloignèrent tout à fait ; je n’entendis bientôt plus dans la chambre que la marche saccadée du comte Duriveau.

Alors il s’écria, donnant un libre cours à sa rage jusque-là contenue :

— Frappé à la figure… crossé à coups de pied devant cette femme orgueilleuse… Oh ! cet homme… je le tuerai… J’ai l’enfer dans l’âme… Sans lui, j’étais vengé. Par fierté, la princesse serait morte plutôt que de rien révéler, et par intimidation, peut-être, elle fût revenue ici une autre fois… Oh ! cet homme… cet homme ! et attendre encore trois heures !!

Le comte Duriveau sortit en disant :

— La Lallemand s’est sauvée… elle a bien fait… Mais je suis sûr d’elle… Tâchons de refermer à peu près cette porte… dont ce capitaine à demi défunt a fait sauter la serrure.

Lorsque je supposai le comte éloigné, je descendis de ma cachette, Je ne voulus pas quitter cette maison sans examiner le lieu de la lutte.

Le placard défoncé ne masquait plus l’entrée de deux chambres voisines de celle de la fausse malade. Ces chambres, garnies de tapis, étaient ornées avec un certain luxe ; au désordre des meubles, je reconnus les traces d’une lutte violente.

En songeant qu’une seconde fois, du fond de mon obscurité, je venais de rendre un service signalé à Régina, j’eus un moment de joie profonde… puis à la pensée du danger auquel allait être exposé le capitaine Just, je croyais un duel inévitable, et le courage, l’adresse de M. Duriveau étaient connus, j’eus un cruel remords de ma conduite… elle me sembla lâche…

Et pourtant à qui m’adresser, en l’absence du prince ? S’il ne se fût agi que de m’exposer au péril qu’allait courir le capitaine Just, je l’aurais bravé avec joie ; mais, hélas ! l’espèce même de ma condition et de mon dévouement m’interdisait toute action éclatante, chevaleresque… La crainte des suites de ce malheureux duel, où pouvait succomber le fils de mon bienfaiteur, empoisonna donc la seule joie qu’il m’était permis de goûter.

 

En sortant de la maison, je ne vis plus le fiacre de Jérôme ; il avait sans doute reconduit la princesse. Ma blessure, oubliée pendant cette scène émouvante, me faisait beaucoup souffrir, j’avais hâte d’être de retour à l’hôtel de Montbar, pour accomplir mon service, complé-