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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/43

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tement négligé ; je ne voulais pas encourir les reproches de la princesse, et il m’eût été difficile de lui expliquer la cause de mon absence pendant toute la matinée.

Au bout d’un quart d’heure de marche, je rencontrai un fiacre, j’y montai ; m’étant prudemment fait descendre à l’extrémité de notre rue, j’arrivai à l’hôtel de Montbar vers midi.

Mon premier soin fut de monter à ma chambre, afin de quitter mes vêtements tachés de sang ; je rencontrai mademoiselle Juliette dans l’escalier ; dès qu’elle m’aperçut elle s’écria :

— Ah ! mon Dieu, Monsieur Martin, d’où venez-vous donc si tard ?… depuis que Madame est rentrée elle vous a fait demander plus de dix fois… Il fallait me prévenir, je me serais chargée de votre service pour ce matin… En arrivant, Madame n’a trouvé de feu nulle part… Avec cela elle a éprouvé en voiture une espèce de faiblesse… car, en revenant, elle était pâle comme une morte et tremblait comme la feuille… Je l’ai engagée à se coucher… elle n’a pas voulu ; depuis lors elle n’a fait que sonner afin de savoir si vous étiez rentré…

— Je suis désolé de ce retard, Mademoiselle Juliette, — lui dis-je ; — mais, tenez… voilà mon excuse…

— Ah ! mon Dieu, du sang… à votre pantalon… et ce mouchoir à votre jambe…

— Il fait si glissant ! je courais, j’ai trébuché sur un de ces tas de débris que l’on dépose le matin au long des trottoirs et je suis tombé sur des tessons de bouteille…

— Pauvre garçon… vous souffrez ?

— Moins maintenant ; mais d’abord j’ai tant souffert qu’il m’a été impossible de marcher ; ce ne sera rien, je l’espère ; je monte vite chez moi pour changer et je redescends chez Madame la princesse.

Dix minutes après, j’entrais dans le salon d’attente où je me tenais habituellement, lorsque j’entendis un violent coup de sonnette.

Je courus au parloir de la princesse, j’en soulevai timidement la portière. Je vis Régina affreusement pâle, les traits bouleversés, mais le maintien ferme, contenu.

— Voilà dix fois que je vous sonne ! — me dit-elle durement. — Vous devriez être ici depuis huit heures… et il est midi et demi… En vérité, c’est incroyable… vous inaugurez singulièrement votre service chez moi…

— Que Madame la princesse veuille bien m’excuser pour aujourd’hui… Mais…