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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/59

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ont pour moi un indicible attrait, ils sont la source d’une foule de jouissances. Mettre en ordre et à l’abri du plus léger grain de poussière ces objets élégants, ces meubles somptueux dont s’entoure ou se sert ma belle maîtresse ; entretenir le transparent éclat de cette glace qui réfléchit si souvent ses traits, ne pas laisser ternir par incurie le coloris de ces tableaux où s’arrêtent parfois si longtemps ses yeux, rendre d’un lustre toujours égal l’émail diapré de ces porcelaines où l’or se mêle aux plus vives couleurs, vases splendides que de sa main elle aime tant à remplir de fleurs ; et ces mille objets d’art, petits chefs-d’œuvre de ciselure et de sculpture, statuettes, reliquaires, figurines, bas-reliefs en argent, en ivoire, en vermeil, avec quel plaisir, avec quel amour je les touche !… Ma maîtresse les a touchés !… les touchera encore pour admirer leur délicatesse et leur fini précieux.

Et les choses dont elle se sert journellement : sa plume d’or terminée par un cachet en cornaline que je lui ai vu porter si souvent à ses lèvres, alors que, pensive… elle s’arrêtait au moment d’écrire ?… et son flacon de cristal, qu’elle garde parfois si longtemps dans sa petite main, et son guéridon de bois de rose où elle s’accoude si fréquemment, son beau front mélancoliquement penché sur sa main… oh ! avec quel bonheur, avec quelle idolâtrie, et souvent, hélas ! avec quelle ivresse je porte mes mains sur ces reliques sacrées de mon culte amoureux !

Que de fois je me dis :

— L’amant le plus épris n’envierait-il pas mon sort ? Vivre dans le sanctuaire de la femme adorée ; être où elle est, respirer l’air qu’elle respire, voir ce qu’elle voit, toucher ce qu’elle touche, ramasser son mouchoir, son gant, son bouquet ; lui donner le livre qu’elle désire, lui verser l’eau pure où elle trempe ses lèvres, lui offrir la coupe de cristal où elle plonge ses doigts roses, la protéger contre un rayon de soleil, en baissant un store : raviver le feu où elle se chauffe, mettre un coussin sous ses petit pieds, un manteau de satin sur ses blanches épaules ; enfin, le regard attentif, prévenir ses moindres désirs, s’ingénier à lui épargner même la peine de demander ; obéir à ses ordres, la servir, en un mot. N’est-ce pas un bonheur idéal ? L’amant le plus fier, le plus orgueilleux, fût-il prince, fût-il roi… ne rend-il pas avec amour, avec délices, à sa maîtresse, tous ces services que je rends à la mienne ? Ne disons-nous pas tous deux : ma maîtresse ? Je suis valet, homme à gages… qu’importe !… Je sers ma maîtresse en amoureux ; aucune puissance humaine ne peut m’enlever ce bonheur de tous les instants.