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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/58

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Ce qu’a fait le bon vieux serviteur, en me regardant avec contrition.

Je ne puis d’ailleurs en douter plus longtemps, je suis désagréable à M. de Montbar ; le fait de ce soir, très-insignifiant en apparence, rapproché d’autres puérilités non moins significatives, me donne cette conviction.

Cela m’effraye… non à cause des hauteurs, des duretés dont le prince peut m’accabler ; Monsieur de Montbar, que j’ai vu sortir ivre d’un bouge ignoble, où il avait passé la nuit, ne peut pas m’humilier. J’ai toujours été par le cœur au-dessus de ma condition, si malheureuse qu’elle fût… et j’ai vu ce grand seigneur, mon maître… crapuleusement tomber au-dessous de la sienne… Mais il ne s’agit pas ici de supériorité morale… je suis le valet de cet homme… il peut me renvoyer de chez lui.

Il me faudra donc, à force de prévenance, de zèle, de soumission, tâcher de vaincre l’espèce d’antipathie que j’inspire à Monsieur de Montbar, afin qu’il me garde à son service.

 

Le calice est souvent bien amer.


10 février 18…

Quelle matinée !… j’ai cru devenir fou.

Il est onze heures du soir… je viens de rentrer ; je ne saurais dire quels quartiers j’ai parcourus… Cette course folle m’a harassé ; je suis brisé de fatigue, mais plus calme.

Souvenons-nous… si je l’ose.

 

Je me suis levé de bonne heure, je suis allé chez le baron de Noirlieu. — Mon maître est toujours dans le même état, — m’a répondu Melchior. — Je suis rentré, et, ainsi que nous disons, nous autres domestiques, je me suis occupé de faire l’appartement de ma maîtresse.

Je commence toujours par le salon d’attente, puis par l’autre salon, me réservant pour la fin le parloir où ma maîtresse se tient toujours, et la petite galerie de tableaux, dont une des portes donne dans la chambre à coucher de la princesse…

Je me suis d’abord occupé du parloir : ces soins domestiques, ordinairement accomplis par mes confrères avec ennui ou insouciance,