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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/77

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quentes ; après bien des nuits entièrement et vainement passées à la fenêtre d’une pièce inhabitée d’où l’on découvre l’allée qui conduit à la petite porte du jardin, deux fois j’ai vu rentrer le prince, enveloppé d’un manteau ; le bon vieux Louis, qui va sans doute l’attendre à un endroit convenu, le soutenait. M. de Montbar gagne ensuite son appartement par une orangerie et un couloir où aboutit un escalier dérobé qui monte à la chambre de Louis, chambre contiguë au cabinet de son maître.

Depuis deux mois la santé de M. de Montbar semble s’altérer, peut-être par suite de ses dégradants excès ; il dîne maintenant rarement avec la princesse, prétextant d’indispositions assez fréquentes pour se faire servir chez lui ; il est sombre, taciturne, il se néglige… lui naguère si recherché dans sa toilette.

 

La correspondance de la princesse et du capitaine Just continue toujours. Ce matin encore, j’ai porté une lettre de Régina, qu’elle lui adressait à son régiment.

Longtemps j’ai tenu cette lettre entre mes mains, la contemplant avec un douloureux serrement de cœur et une amère curiosité. Un moment j’ai été sur le point de commettre un infâme abus de confiance… Heureusement j’ai résisté.

 

Il n’importe… je sais qu’ils s’aiment… ils s’aiment… Oh ! que j’ai souffert… oh ! que je souffre à cette pensée !…

… Allons ! courage, courage, pauvre cœur endolori ! le dénouement de la passion de Régina approche ; quel qu’il soit, cet événement sera décisif pour l’avenir de la princesse. Lors de cette crise… la plus grave de sa vie peut-être… je pourrai peut-être lui être utile encore ; une fois sa destinée fixée, j’aurai accompli mon devoir.


10 juin 18…

J’ai fait ce matin une rencontre qui m’a bien ému, car elle m’a rejeté loin dans le passé…

Je longeais le quai d’Orsay, assez désert à ce moment ; un homme pâle, maigre, à barbe inculte et d’une laideur singulière, vêtu de guenilles, mais ayant l’air doux et craintif, m’a tendu la main en tremblant ; il avait de grosses larmes dans les yeux, et il m’a dit tout bas d’une voix étouffée :