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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/78

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— Monsieur… Monsieur… pitié, s’il vous plaît…

Depuis que j’ai éprouvé les angoisses de l’homme timide et honnête réduit à tendre la main, je ne suis jamais indifférent à ces tristes requêtes : j’ai cherché dans ma poche une pièce de monnaie, et comme je la mettais dans la main de ce pauvre homme, en le regardant de plus près, sa laideur remarquable, et surtout ridicule, m’a fait tressaillir… Mille souvenirs se sont éveillés dans mon esprit… et je me suis écrié :

Léonidas Requin

C’était lui… Pauvre Léonidas ! quelle joie ! Il a vu en moi un sauveur ; je lui ai donné bien peu, mais du moins de quoi payer une huitaine d’un petit cabinet garni et être à l’abri de la faim durant ce temps ; j’ai quelques hardes qui le vêtiront convenablement, et je tâcherai d’intéresser à son sort Mlle Astarté, la toute-puissante femme de chambre de la ministresse.

« — Après avoir été homme-poisson, et vécu aussi misérablement que je viens de te le raconter brièvement, mon bon Martin, — m’a dit Léonidas, après un assez long entretien, — tu sens que j’accepterai quelque position que ce soit, pourvu qu’elle me donne un toit, un habit et du pain. »

Et quand je lui ai parlé d’une place de garçon de bureau, peut-être même d’huissier, le digne lauréat universitaire a souri mélancoliquement d’un air de doute, et m’a dit :

— Pourquoi pas grand-maître de l’Université, tout de suite ?…

Je suis allé au ministère de la justice, Astarté n’y était pas ; j’y retournerai ; il faut absolument qu’elle place Léonidas.


17 juin 18…

Parmi les journaux que l’on reçoit à l’hôtel, la princesse lit communément le Journal des Débats. Tantôt, après le départ de Régina, j’ai trouvé cette feuille chez elle ; une demi-colonne environ, enlevée au moyen de ciseaux, manquait au journal. Assez surpris de cette circonstance, je suis entré dans un cabinet de lecture, j’ai demandé les Débats du jour, et voici ce que j’ai lu et copié à l’endroit que Régina avait enlevé de l’exemplaire de l’hôtel :

« On lit dans un journal cette notice, que nous nous empressons de reproduire :

» On n’a pas oublié cet héroïque fait d’armes, qui, en 1831, a eu tant de retentissement dans notre armée d’Afrique : un lieutenant du 1er régiment du génie, détaché avec vingt-cinq soldats dans un marabout, a résisté avec une incroyable intrépidité pendant