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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/81

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« Cette scène touchante, qui se passait pour ainsi dire à la vue de la salle entière, a été saluée par des acclamations unanimes que l’auguste présence de LL. MM. n’a pu contenir, et qui s’adressaient d’ailleurs non moins à l’inimitable artiste qu’à LL. MM., qui daignaient donner au talent, au génie, une marque insigne de leur royale admiration.

« Il est inutile de dire que le plus grand monde de notre capitale se dispute les rares et précieux moments dont peut disposer en sa faveur l’illustre cantatrice : les plus grandes dames, les plus grands seigneurs s’empressent d’ouvrir leurs salons à la grande artiste, qui d’ailleurs sait joindre au génie, à la grâce et à une éblouissante beauté, la meilleure éducation, les manières les plus distinguées, surtout empreintes d’un mélange de réserve et de dignité, qui prouve à la fois que l’illustre artiste a la conscience de ce qui est dû à son génie, et le sentiment de ce qu’elle doit aux personnes éminentes qui lui prodiguent tant de marques de leur sympathie et de leur admiration. »

 

Ainsi Basquine, à force de travail, d’opiniâtreté, de foi dans le génie quelle sentait en elle, était parvenue en peu d’années à ce but poursuivi avec une indomptable énergie, à travers des misères, des dégoûts, des obstacles de toute sorte.

Mon cœur a bondi de joie, mes yeux se sont mouillés de larmes en lisant ces lignes… qui disaient la gloire retentissante, la renommée européenne de ma petite compagne d’enfance… de Basquine, la pauvre fille du charron, de Basquine la saltimbanque, la vagabonde, la chanteuse des rues…

Partir de si bas, mon Dieu ! et arriver si haut !… Et cela seule, toute seule, la pauvre abandonnée… seule… et le cœur flétri… corrompu… le cœur mort… qu’elle n’avait pas encore seize ans.

À cette réflexion ma joie s’est glacée malgré moi, mon cœur s’est serré. Hélas ! au milieu des enivrements de la gloire, au milieu de ces caresses royales, Basquine peut-être n’est pas heureuse… Cette grâce, cet esprit, cette beauté, ce génie, cette renommée qui à cette heure retentit en Europe, ne devaient être pour Basquine, disait-elle, que des armes terribles pour accomplir sa vengeance à elle qui avait d’effrayantes représailles à exercer.

Si telle était toujours la secrète pensée de Basquine, la malheureuse enfant devait traîner une vie misérable, malgré l’éclat de ses