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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/86

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Et je suivis Mademoiselle Juliette, avec cette résolution que l’on met souvent à pousser à bout son mauvais sort.

Je n’étais jamais jusqu’alors entré dans la chambre à coucher de ma maîtresse… et c’est aujourd’hui… aujourd’hui que j’y suis entré pour la première fois.

 
 

Je n’étais jamais entré dans la chambre de la princesse, parce que, grâce à un sentiment de réserve très-rare, même parmi les personnes les mieux élevées et du plus grand monde, Régina tenait expressément à ce que ses femmes seules fissent le service de sa chambre à coucher et y apportassent même le bois de sa cheminée. Elle veillait elle-même à ce que ses ordres fussent rigoureusement suivis, car, sauf sa visite matinale à la prétendue femme paralytique et sa sortie d’aujourd’hui je n’ai jamais vu ma maîtresse quitter l’hôtel avant deux heures.

Je suis donc entré avec Mademoiselle Juliette dans cette chambre dont j’avais vu quelquefois l’intérieur se réfléchir dans le miroir du salon de tableaux… Rien de plus simple et conséquemment de meilleur goût, elle est tendue de cachemire orange clair, rehaussée de câbles de soie bleue ; le bord du lit disparaît sous une ouate épaisse, recouverte d’étoffe pareille à la tenture ; les rideaux seuls sont de mousseline blanche brodée, ainsi que les doubles rideaux des fenêtres ; les meubles, de bois des îles, sont incrustés de marqueterie de couleurs variées ; le cabinet de toilette et de bain est tendu en ancienne étoffe perse, fond gris à gros bouquets de roses ; la baignoire est de marbre blanc, assez éloignée du mur ; un épais tapis, à palmettes variées, couvre le plancher de ces pièces.

D’abord, je me suis félicité de n’être pas entré seul dans cette chambre : j’aurais craint pour moi ces entraînements insensés, dont le parloir de ma maîtresse est si souvent le théâtre ; bientôt je m’aperçus qu’il eût mieux valu pour moi être seul… qu’en compagnie de Mademoiselle Juliette, car son langage indiscrètement ingénu, suite de ses habitudes et de ses fonctions de femme de chambre, me fit connaître un nouveau tourment : celui-là je devais le subir, le visage insouciant.

— Vous êtes vraiment bien aimable de m’aider, Martin — m’a dit Mademoiselle Juliette ; — le coup de main que vous allez me donner va joliment m’avancer, car c’est aujourd’hui le jour de la