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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/90

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Et je repris tout haut :

— Vous êtes bien bon, Monsieur Just.

— Mais je vous trouve pâle, changé, Martin ; est-ce que vous avez été malade depuis mon départ ?

— Non, Monsieur Just… je me porte bien ; mais, vous savez : il y a des jours comme cela… où l’on a moins bon visage.

— Et vous vous plaisez toujours ici, j’espère ?

— Oui, Monsieur Just.

— Tant mieux… La princesse est chez elle ?

— Oui, Monsieur Just.

Non, m’était venu aux lèvres ; c’était stupide… mais le bonheur de cet homme me révoltait.

J’ai précédé le capitaine ; je l’ai annoncé à Régina.

Il a marché vivement vers elle. Elle lui a tendu la main ; puis, me voyant rester immobile auprès de la portière que je venais de soulever, elle m’a regardé d’un air surpris et m’a dit :

— C’est bien…

Just s’est aussi retourné vers moi…

J’ai senti combien ma persistance à demeurer là était absurde ; je me suis retiré, l’envie et la ragé au cœur.

Soudain la voix de la princesse m’a rappelé.

— Martin, relevez cette portière ; il fait si chaud que l’air du salon entrera ici.

J’ai obéi avec un dépit concentré, car je me proposais, quoi qu’il pût en arriver, de rester dans le salon et d’écouter à travers la portière afin de ne plus avoir aucun doute… — Les premiers mots d’un tête-à-tête qui suit un rendez-vous sont tellement significatifs ! — avais-je pensé ; mais l’ordre de la princesse rendait mon espionnage impossible, la pièce où je me tenais d’habitude étant séparée du parloir par un très-grand salon.

Je trouvai sur ma table deux lettres pour la princesse, apportées sans doute par le concierge pendant mon absence du salon d’attente ; je pris ces lettres avec une joie méchante, — Je pourrai du moins deux fois, — me dis-je, — interrompre leur doux entretien…

Je me réjouis d’abord en songeant que les portières étaient relevées, et que Just et Régina, sachant que je pouvais entrer d’un moment à l’autre, devaient souffrir de la gêne ainsi imposée à leurs épanchements ; mais je réfléchis que, pour deux amants, cette gêne même avait un charme irritant ; alors ma funeste tentation m’est revenue