Aller au contenu

Page:Sue - Les misères des enfants trouvés IV (1850).djvu/89

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Je crois bien… et vider la baignoire, donc ! La soupape est dérangée ; il faut tenir le cordon à la main pour que l’eau s’écoule tout à fait, c’est ce qui me ferait perdre le plus de temps.

— Madame est sortie de si bonne heure, que je ne croyais pas…

— Qu’elle eût pris son bain ? Ah bien ! oui, comptez qu’elle y manque jamais… D’ailleurs, dans ce temps-ci, il est bientôt prêt, son bain ; Madame le prend froid… Aussi, allez, quand je la sors de cette eau parfumée de verveine pour lui jeter sur les épaules de la poudre d’iris… Madame a la peau si fraîche, malgré la chaleur… mais si fraîche et si ferme, qu’on dirait que l’on touche du marbre.
 

Oh ! femmes !… femmes jeunes et belles ! que vous soyez chastes ou amoureuses de votre mari ou de votre amant… plus vous serez chastes, plus vous serez amoureuses, plus votre chambre à coucher doit être impénétrable à tout serviteur, sinon… le plus modeste comme le plus grossier souillera malgré lui de ses regards, de ses pensées, de ses désirs, ce sanctuaire pudique et sacré. À ce seul soupçon, ne deviendrez-vous pas pourpres de confusion devant cet homme ?… oh ! vous ne savez pas quels égarements terribles peut causer votre insouciance de cette réserve.

 
Le souvenir de ce qui s’était passé dans la chambre à coucher de Régina avait laissé en moi tant de jalousie douloureuse, d’envie, de haine contre le bonheur du capitaine Just, que, pour la première fois, une tentation infernale m’a traversé l’esprit.
 

Cette pensée infâme ne me serait jamais venue, je crois, sans le rapprochement fatal de l’arrivée du capitaine Just, le jour même où l’ardeur sensuelle de mon fol amour venait d’être exaltée jusqu’au vertige par une de ces conséquences de ma domesticité, auxquelles pourtant je tâchais toujours d’échapper… sachant combien alors ma raison se bouleversait.

Le capitaine Just est arrivé à deux heures, l’air si profondément heureux, que mes soupçons au sujet du rendez-vous du matin devinrent pour moi une cruelle certitude… et pourtant, je dois le dire, je me trompais, je l’ai su plus tard, Régina était pure.

— Bonjour, Martin, — m’a dit affectueusement le capitaine, — je suis aise de vous revoir…

Le bonheur rend si familier, si cordial ! pensai-je.