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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/116

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d’ébène ; la dentelle commencée sur ce métier était d’une admirable beauté ; on y reconnaissait la main d’une excellente ouvrière.

Mme Perrine, ainsi s’appelait cette femme, semblait âgée de quarante-cinq ans environ ; elle avait dû être remarquablement belle. Serrés par sa coiffe blanche à la paysanne, deux bandeaux de cheveux d’un noir de jais, encadraient son front, très-brun comme son teint ; ses yeux noirs, bien ouverts, bien brillants, et surmontés de sourcils fins et arqués, tantôt erraient dans le vide, tantôt se reposaient tour à tour sur deux objets dont nous parlerons tout à l’heure. Le teint très-brun de Mme Perrine était pâle et un peu maladif ; la maigreur de son visage le faisait paraître plus allongé, et accusait trop la vive arête de son nez aquilin ; sur sa bouche, d’une coupe gracieuse, errait un sourire mélancolique ; son front pensif s’appuyait alors sur sa main. Mme Perrine portait un costume de paysanne fort propre, et dont l’étoffe noire faisait ressortir encore la blancheur de sa coiffe et de son grand fichu croisé.

Quelquefois, un tressaillement presque imperceptible agitait simultanément les lèvres et les noirs sourcils de cette femme, frissonnement nerveux résultant des suites d’une maladie cruelle.

Mme Perrine, durant beaucoup d’années, avait été folle.

Sa folie, d’abord furieuse, avait peu à peu changé de caractère : une mélancolie douloureuse, mais inoffensive, avait succédé à la frénésie. Le temps et des soins remplis de sollicitude avaient opéré une guérison à peu près complète, et le calme profond dont Mme Perrine jouissait depuis son installation dans la métairie du Grand-Genévrier, avait tout à fait consolidé cette guérison.

Après une étude attentive du caractère de cette infortunée et surtout des ombrageuses susceptibilités qu’elle conservait, en suite de son insanité, le médecin, contre les prescriptions ordinaires, lui avait recommandé, surtout pendant les premiers temps qu’elle passerait à la ferme, un isolement presque absolu. En effet, elle éprouvait une telle humiliation, une si pénible honte de son état passé, que la présence de personnes même bienveillantes lui eût causé un malaise, une souffrance indicibles. — Sans doute, avait ajouté le médecin, ces susceptibilités devaient s’effacer peu à peu ; mais, sous peine d’une rechute, alors peut-être incurable, Mme Perrine devait vivre dans la solitude, — Ces conditions de salut se trouvaient d’ailleurs si en rapport avec les goûts de cette femme, qu’elle fut heureuse de s’y conformer ; durant le jour, elle ne sortait