Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/123

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la société, des plus infimes aux plus hautes. Né pensif et observateur, doué d’un esprit juste et pénétrant, vous avez profondément réfléchi à ce que vous avez vu, étudiant au moins autant les causes que les résultats ; d’une loyauté scrupuleuse, vous n’avez jamais, j’en ai acquis la conviction, exagéré ou atténué ce qu’il y avait de bon et de mauvais dans ce peuple auquel vous vous glorifiez d’appartenir ; une fois certain de votre sincérité, je méditai longuement les enseignements que je trouvais en vous, enseignements vrais, variés, vivants, qu’il m’avait été impossible de rencontrer jusqu’alors, rien n’étant plus rare que la combinaison d’un sort tel que le vôtre avec un caractère et un esprit tels que les vôtres.

« Une fois amené, par de mûres réflexions nées de nos entretiens, dans une voie nouvelle, aux abords difficiles, dangereux… peut-être ; peu à peu, lentement il est vrai, de nouveaux horizons ont commencé à s’ouvrir devant moi… de biens grandes vérités ont éclairé mon esprit.
 
« Vous le savez, j’ai tâché de n’être point ingrat envers vous… en essayant de vous prouver déjà ma reconnaissance selon votre cœur.

« Vous êtes précipitamment parti pour la France ; un devoir sacré vous y appelait, m’avez-vous dit… C’est avec tristesse et regret que je vous ai vu vous éloigner pour longtemps… pour toujours peut-être.

« Vous me devez, il me semble, une compensation ; si vous pensez ainsi, accordez-moi une demande qui maintenant, je le crois, n’est plus indiscrète.

« Vous souvient-il qu’une fois je mis en doute, non votre sincérité, mais l’exactitude de vos souvenirs, à propos d’un fait extraordinaire dont vous aviez été témoin ; à ce propos, vous me dites qu’il était presque impossible que votre mémoire vous fit défaut, car depuis longues années vous écriviez presque jour par jour une sorte de memento de votre vie.

« Cette vie a dû avoir des aspects si étranges et des conditions si diverses depuis votre enfance jusqu’à ce jour, que ce récit, simple et sincère comme il l’est, je n’en doute pas, offre nécessairement un ample texte à de sérieuses réflexions… Quelques mots de vous, à ce sujet, m’ont aussi vivement frappé : — la domesticité, en vous ouvrant le sanctuaire du foyer, vous avait mis à même, —