Aller au contenu

Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/138

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le parchemin tomba des mains de Mme Perrine.

Cette nouvelle et terrible secousse rendit, pour un instant, si cela se peut dire, l’équilibre à son esprit, de même qu’un monument, dérangé de sa base par une oscillation profonde, est remis momentanément en place par une oscillation contraire, jusqu’à ce qu’une dernière commotion le fasse écrouler avec fracas.

Si incomplet que fût le sens de ces mots à demi effacés, Perrine Martin comprit vite leur signification. Ainsi, un infâme, frappé de la beauté de cette infortunée, avait abusé de l’état d’insanité où elle était plongée ; Bruyère était le fruit de ce crime affreux, et elle, Perrine Martin, avait été rendue mère sans en avoir gardé la conscience et le souvenir.

À cette épouvantable révélation, le cœur maternel de cette infortunée ne ressentit qu’une chose… une joie immense… divine… une fille lui était née ; cette fille… elle pouvait la presser sur son cœur…

Aussi, s’écria-t-elle en tendant ses bras à Bruyère :

— Tout à l’heure, je me sentais redevenir folle… maintenant je ne crains plus rien… Viens, viens, ma fille… tu me rends la raison…

Et elle disait vrai : il est des situations données où une mère ne veut pas devenir folle, et ne le devient pas.

— Vous !… ma mère !… — s’écria Bruyère avec stupeur, car elle était trop naïve pour pénétrer le sens odieux des demi-mots lus par sa mère avec égarement.

— Oui, ta mère !… je suis ta mère ! — disait madame Perrine en sanglotant, et couvrant Bruyère de pleurs et de caresses, — peu nous importe le reste… vois-tu ? tu es ma fille… que nous faut-il de plus ? Oh ! mon Dieu !… et moi qui disais tantôt : J’aurais été si heureuse d’avoir à la fois une fille… et un fils à adorer… J’avais déjà un fils… Oh ! un digne fils !… Oh ! comme tu l’aimeras, ton frère !

— Une mère !… un frère !… — murmurait Bruyère, en rendant à sa mère larmes pour larmes, caresses pour caresses, bonheur pour bonheur.

Tout à coup Perrine Martin tressaillit, et dit tout bas à Bruyère, qu’elle tenait serrée contre son sein :

— On t’appelle !…

— Moi, ma mère ?