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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/142

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La mère et la fille restèrent seules.

La chambre à coucher de Raphaële, attenant à celle de sa mère, était tendue et meublée de toile de Perse, fond blanc semé de gros bouquets de bluets ; une lumière, à demi-voilée par un globe de cristal d’une opacité transparente, éclairait à demi cette pièce.

Mme Wilson avait quitté son habit de cheval pour une robe de chambre de cachemire gris de lin, bordée et ornée de passementerie d’un rose pâle, souple et fin de tissu qui accusait les contours de ce corps charmant.

Assise au bord du lit de sa fille, elle tenait, avec une sollicitude inquiète, une de ses mains dans les siennes. La charmante figure de Raphaële, d’un coloris ordinairement si délicat et si rose, était alors tellement altérée, que, sans l’éclat fiévreux de ses grands yeux bleus et le châtain foncé de ses bandeaux de cheveux, la pâleur de son visage se fût confondue avec la blancheur neigeuse de la dentelle et de la batiste de son petit bonnet de nuit.

Cette toute jeune fille et cette jeune mère, ou plutôt ces deux sœurs ainsi groupées, offraient un ravissant tableau : une douce lumière jetait sa clarté douteuse dans cette chambre tapissée d’étoffes fleuries et tout imprégnée de la senteur légèrement parfumée qu’exhale toujours l’entourage des femmes élégantes et recherchées.

Pour la première fois, depuis leur retour de la chasse, Mme Wilson et sa fille se trouvaient seules.

— Pauvre ange… tu souffres donc bien ? — dit Mme Wilson à Raphaële.

La jeune fille répondit par un douloureux soupir accompagné d’un regard chargé de larmes.

Mme Wilson prit entre ses deux petites mains la tête de sa fille, qui reposait sur son épaule, et la baisa plusieurs fois au front en disant :

— Toi souffrir… mon ange… toi… oh ! je n’ai jamais jusqu’ici… ressenti la haine… mais celui-là qui te causerait le moindre chagrin serait poursuivi par moi… d’une animosité terrible, implacable…

En parlant de la haine qu’elle éprouverait… la vive et agaçante physionomie de Mme Wilson se transfigura ; ses yeux, toujours si gais, si sereins, brillèrent d’un sombre éclat ; sa bouche, toujours si rieuse, se contracta ; les veines de son front se gonflèrent ; enfin, l’expression de son visage parut un instant si menaçant à Raphaële, qu’elle s’écria, épouvantée :