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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/143

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— Maman… ne le hais pas… Je l’aime tant…

À ces mots de Raphaële, qui disaient son incurable passion pour le vicomte Scipion Duriveau, Mme Wilson, par un brusque revirement, cacha sa figure dans ses mains et fondit en larmes.

— Mère… mère chérie… je te désole… — s’écria la jeune fille en se jetant au cou de Mme Wilson, — oh ! combien je suis lâche… et malheureuse… il ne m’aime plus peut-être… et je te brise le cœur…

— Il ne t’aime plus ! — s’écria Mme Wilson en essuyant brusquement de sa main les larmes qui ruisselaient sur ses joues à fossettes, — il ne t’aime plus… — et ses joues pâlies s’empourpraient d’indignation. — Toi… toi… subir un tel mépris… Toi, belle entre toutes… toi belle… oh ! belle à réaliser l’idéal, l’impossible… — s’écria Mme Wilson, emportée par le fol orgueil de l’amour maternel.

— Ne plus t’aimer ! lui… — reprit-elle après un moment de silence, — Mais tu ne sais donc pas tout ce que m’a coûté…

Madame Wilson s’interrompit : emportée par son premier mouvement, elle allait dévoiler à sa fille un secret qu’elle voulait lui taire : elle se hâta donc d’ajouter en se reprenant :

— Non, tu ne sais pas ce que cet amour ma coûté d’inquiétudes… Calme-toi, rassure-toi donc… mon adorée.

— Hélas ! ma mère, depuis notre départ de Paris, nous sommes fiancés… Et durant cette journée d’aujourd’hui, vous l’avez vu… rien… quelques politesses banales ; à peine il s’occupait de moi… toujours distrait, insouciant ; et qu’est-ce encore que cette indifférence, auprès de cette scène… horrible… où il a montré, comme toujours, tant de courage et de dédain !… Oh ! cette femme… cette fille des champs, il l’aime. Voilà pourquoi il ne m’aime plus… Il l’aime… et elle a tué son enfant ! — s’écria Raphaële, avec un inexprimable mélange de haine, de jalousie et de désespoir…

Puis, fondant en larmes, elle se jeta au cou de sa mère et cacha sa figure dans son sein.

— Ah ! plaignez-moi… méprisez-moi… — reprit-elle. — Malgré tout cela… j’aime encore Scipion… je l’aime toujours… je l’aime davantage peut-être, car jamais il ne m’a paru plus beau que lorsque, seul, si jeune, si faible, mais si intrépide, il bravait dédaigneusement la furie de ces paysans qui le menaçaient… Oui, maudissez-moi… ma mère, — ajouta Raphaële ; et tournant vers sa mère