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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/190

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car, malgré la rare énergie de son caractère, le comte redoutait le flegme glacial et railleur de son fils ; aussi la conscience de cette faiblesse l’exaspérait davantage encore contre lui-même et contre Scipion. Jamais… peut-être, le comte n’avait éprouvé plus péniblement le tardif et vain regret de s’être montré jeune-père envers ce fils audacieux ; il se voyait, il se sentait débordé, s’il ne tranchait pas dans le vif, si, ce jour-là même, et de haute lutte, il n’imposait pas au vicomte une autorité jusqu’alors méconnue… ou plutôt inconnue.

Une vive lueur, accompagnée d’un bruit de sabre traînant et d’éperons retentissants, arracha le comte à ses pénibles préoccupations ; il retourna la tête, et vit, à la lueur d’une lampe que tenait un de ses gens, M. Beaucadet descendre majestueusement les degrés du perron.

Singulièrement contrarié de cette visite, le comte s’avança vers le sous-officier, et lui dit brusquement :

— Que voulez-vous ?

— Monsieur le comte, — dit Beaucadet d’un air grave et pénétré qui ne lui était pas naturel, — un grand malheur vient d’arriver.

— Quel malheur ?

— J’ai été à la métairie du Grand-Genévrier, afin de procéder à l’interrogatoire de la fille dite Bruyère, soupçonnée d’infanticide…

— Eh bien ?

— La malheureuse était coupable… car, en me voyant, moi et mes hommes… elle s’est jetée dans l’étang….

— Grand Dieu !!! — s’écria le comte.

— Et elle s’est noyée… — dit Beaucadet.

— Oh !… c’est affreux, — murmura M. Duriveau avec une expression d’horreur, en cachant sa figure dans ses mains.

— Je suis venu, monsieur le comte, — reprit Beaucadet, — afin de vous…

— C’est bon… laissez-moi.

— Mais, monsieur le comte…

— Laissez-moi, vous dis-je.

— Représentant de la loi… — dit Beaucadet de sa voix officielle — j’ai le droit d’instrumenter en son nom. Je viens d’apprendre que, ce soir, un coup de pistolet a été tiré par un homme embusqué, sur un de vos domestiques… Mon devoir, Monsieur le comte, est de verbaliser et de…