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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/195

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— Que vous ne respectiez ni ma maison, ni mes projets, — reprit le comte, sans relever le persiflage de son fils, — je n’ai pas le droit de m’en étonner… mes exemples vous autorisent… Soit encore, — ajouta le comte avec une profonde amertume. — Mais ce scandale n’est pas le seul d’aujourd’hui.

— Comment ?

— Ce malheureux enfant…

— Ce malheureux enfant ?

— Découvert tantôt… dans cette tanière.

— Eh bien ?

— Mais… Monsieur, c’est horrible !

— Quoi ?

— Votre action…

— D’avoir fait un enfant à cette petite ? Allons donc ! mais à ce jeu de paternité précoce, tu dois me rendre au moins dix points, car tu étais plus jeune que moi, m’as-tu dit, quand tu as rendu mère, style d’Ambigu-Comique, cette petite ouvrière en dentelles, ta première fantaisie de jeunesse… qui, je crois même, est devenue folle…

À ce nouveau coup, à ce nouveau reproche, plus terrible que le premier, les traits du comte s’altérèrent profondément, il tressaillit… puis, poussé à bout par l’inexorable et fatale logique de son fils, il s’écria :

— Mais elle ne s’est pas tuée de désespoir, elle !

— Qui ça… tuée ? — demanda Scipion.

— Bruyère…

— Elle ! — s’écria Scipion.

Et son pâle visage se colora.

— Elle ! — répéta-t-il encore.

Et son front s’inonda de sueur.

— Oui… ce soir… on est allé pour l’arrêter… comme prévenue d’infanticide ; alors, éperdue de honte… elle s’est noyée ; noyée !… entendez-vous ? Ah ! du moins, ceci abat votre audacieux sang-froid, séducteur imberbe, indigne fanfaron de vice, — s’écria le comte avec une imprudence effrayante, car c’était risquer d’exaspérer jusqu’à la férocité le détestable cynisme de cet adolescent.

Ceci arriva :

Une larme involontaire venue aux yeux de Scipion disparut vite ; son front, un instant incliné sous le poids d’une pensée terrible, se