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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/20

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caché dans le taillis près du carrefour de la Croix, il avait ainsi invisiblement assisté à l’entretien du piqueur et de M. Beaucadet.

Jusqu’au moment de sa brusque apparition aux yeux de Bamboche, le braconnier s’était tenu blotti et caché dans ce qu’en terme de braconnage on appelle un affût, sorte de trou de cinq à six pieds de profondeur, recouvert de touffes de fougères et de genêts formant le dôme, et à travers lesquelles le braconnier, qui reste ainsi des heures immobile et guettant sa proie, peut l’apercevoir et la tirer presque à bout portant.

À la vue de Bête-Puante, Bamboche, malgré son audace, recula d’un pas, frappé de stupeur ; les pierres qu’il avait ramassées pour se défendre tombèrent de ses mains : soit qu’à l’aspect d’une courte carabine à deux coups dont le braconnier était armé, le fugitif comprît que la lutte était trop inégale, soit enfin qu’un pressentiment lui dît qu’il devait exister quelque affinité sympathique entre sa condition de fugitif et la vie aventureuse de l’homme des bois qu’il rencontrait.

Toutefois, se reculant encore, il continua de jeter sur le braconnier un regard de farouche inquiétude.

— Tu t’appelles Bamboche, tu es évadé des prisons de Bourges… traqué comme une bête fauve, tu ne pourrais échapper… je viens à ton aide… au nom de… Martin.

À ce nom de Martin, la farouche physionomie de Bamboche se transfigura ; une touchante émotion détendit ses traits jusqu’alors durs et contractés ; une larme voila le sauvage éclat de son regard : les mains jointes, les lèvres entrouvertes, le cœur palpitant, la poitrine bondissante, il ne put que s’écrier d’une voix étouffée par l’attendrissement :

— Martin !!!

Mais, voyant le doute se peindre sur les traits du fugitif après cette explosion d’affectueux sentiments, le braconnier se hâta d’ajouter :

— Oui, Martin… BasquineLa Levrassele

Bamboche interrompit le braconnier, comme si les noms bizarres prononcés par celui-ci eussent suffisamment prouvé l’identité, de Martin, et s’écria radieux :

— C’est lui… c’est bien lui.

Le fugitif oubliait ainsi la poursuite acharnée à laquelle il venait d’échapper par miracle, et dont il pouvait être victime dans quelques instants.

Aucune des impressions de Bamboche n’échappait au regard