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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/200

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Malgré les précautions du comte, l’impression profonde qu’il avait ressentie en entendant son fils parler de la rupture possible de ses projets d’union avec Raphaële, n’avait pas échappé à Scipion ; mais celui-ci crut bon de cacher cette remarque, et lorsque le comte lui eut dit avec une apparente cordialité :

— Allons, mauvais sujet, allume ton cigare,

Le vicomte, tout en approchant son panatellas de la bougie, dit à son père :

— Maintenant je te reconnais ; mais, tout à l’heure… je t’aurais renié…

— Que diable veux-tu que je te dise ? — reprit le comte avec une feinte bonhomie ; — tu as réponse à tout… ; tu me bats avec mes propres armes… Je jouais de mon mieux mon rôle de… Géronte, comme tu dis, méchant garnement ; mais il paraît que le rôle était mauvais.

— Pitoyable !… Ça te servira de leçon ; du reste, rassure-toi… je réparerai la brêche que j’ai faite à ta candidature… Il faut que tu sois député… ça sera amusant… ainsi, tu seras député… c’est dit, et moi aussi… Nous le serons tous.

— Toi aussi ?… vraiment !

Maintenant, non, je ne suis pas encore un homme sérieux, comme dit ton ami Guizot ; mais quand je t’aurai fait pour un million de dettes, quand j’aurai enlevé avec éclat une duchesse et une femme politique (une femme politique, ça doit être drôle) ; quand j’aurai encore tué une couple d’hommes en duel,… quand je fumerai du poivre-long, parce que le caporal me semblera de la feuille de rose, quand je boirai de petites épingles parce que le trois-six me fera l’effet d’eau panée ; enfin, quand je serai tout à fait éreinté, Je serai un homme sérieux, et, à mon tour, ton ami Guizot me fera député ; une fois que, par son appui, je serai jeune député comme d’Armainville et Saint-Firmin, tu verras mon aplomb. Tiens… écoute.

Et Scipion, baissant les yeux, mais haussant le front, dit d’un air de dédaigneuse suffisance que l’humilité affectée de ses paroles faisait ressortir davantage encore :

« — Je demande à la chambre devant laquelle j’ai l’honneur de parler pour la première fois, la permission d’apporter mon bien humble, mon bien infime, mon bien obscur concours au gouvernement du Roi, etc., etc… » Et en terminant mon speech ministériel : « Puis-je espérer que la chambre daignera pardonner à ma ti-