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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/225

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découverte de l’enfant, — reprit le braconnier. — Entendant le gendarme déclarer qu’il se rendait à la métairie pour arrêter Bruyère, j’ai espéré le devancer. Je connaissais des sentiers plus courts que la route ordinaire ; une fois auprès de la métairie, je comptais, en poussant un cri, bien connu de ta sœur, l’attirer dehors et la prévenir ; malheureusement les gendarmes sont venus si vite, que Bruyère n’a pas entendu mon signal. Arrivant trop tard, et voulant me cacher, je me suis tapi au milieu des roseaux de ce profond fossé que tu vois là… il n’est séparé de l’étang que par cette herse… Dieu m’inspirait…

— Et alors…

— À la clarté de la lune je vis la malheureuse enfant se précipiter dans l’étang… Soudain je compris que je pouvais la sauver ; je baissai rapidement la herse… auprès de laquelle ta sœur était tombée.

L’eau se déversant dans ce fossé, un courant s’établit aussitôt, et il m’amena la malheureuse enfant qui se débattait contre la mort ; d’une main je la saisis par ses vêtements, de l’autre je relevai la herse ; le trop plein s’arrêta, l’eau du fossé où j’étais alors, et qui me montait à la ceinture, s’écoula. Portant alors ta sœur entre mes bras comme un enfant, j’ai continué de marcher dans ce fossé jusqu’à ce que j’aie pu sortir sans danger d’être vu… puis, à travers bois, j’ai gagné un de mes repaires… et tu sais le reste…

— Et, pendant ce temps-là, on cherchait en vain le corps de l’infortunée que leur accusation infâme avait poussée au suicide… — dit Martin ne pouvant retenir ses larmes.

— Les misérables !… infanticide !… elle !… — s’écria le braconnier ; — elle, pauvre petite, qui, cédant à un irrésistible sentiment de honte et de terreur, était parvenue à dissimuler la naissance de son enfant ; elle qui, par un prodige de courage, venait deux fois chaque jour l’allaiter dans mon repaire situé à plus d’une lieue de la métairie ; mais voyant, malgré ses soins, malgré les miens, l’innocente créature dépérir dans cet antre humide et sans air, la fatale idée m’est venue de porter l’enfant à Vierzon, où il existait autrefois un tour. À cette proposition, il faut renoncer, vois-tu ? à te peindre l’affreux désespoir de cette jeune mère de seize ans, ses sanglots, ses cris déchirants ; enfin le salut de son fils la décida… Je partis ; elle m’accompagna presque tout un jour, tour à tour allaitant son enfant, le couvrant de larmes, de baisers… Lorsqu’il fallut s’en séparer… je crus qu’elle n’en aurait jamais le courage… pourtant elle se résigna… Je n’avais pas fait vingt pas qu’elle accourait à moi. « Encore une fois,