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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/226

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la dernière, » disait-elle, suffoquée par les sanglots, et c’étaient de nouveaux baisers, de nouvelles plaintes. Elle tombait brisée sur le chemin. Je repartais… et bientôt, j’entendais des pas précipités derrière moi… c’était elle. « Encore une fois, bon Claude… la dernière, bien sûr… oh ! la dernière ! » Et moi qui ne pleure plus, je pleurais aussi… Enfin elle m’a quitté pour revenir à la métairie, afin de ne donner aucun soupçon. J’arrivai à Vierzon.. ; le tour était à tout jamais supprimé par économie… Vivant au milieu des bois, moi, j’ignorais cet honnête calcul.

— Par économie ? — dit Martin en regardant le braconnier comme s’il n’eût pas bien compris ses paroles.

— Oui, par économie, — reprit Bête-Puante avec un éclat de rire farouche ; — mais non… que dis-je ?… s’ils ont supprimé ce dernier refuge ouvert par un vrai prêtre chrétien à la misère, à la honte, au repentir des filles séduites… s’ils l’ont fermé, ce refuge, c’est par logique… ils savaient bien, ces hommes, que c’était vouer à une mort certaine le plus grand nombre des enfants qui eussent trouvé des soins maternels dans cet humble asile. Mais pour ces créatures, vouées, en naissant, à une misère fatale, à quoi bon vivre ? auront dit ces prudents calculateurs… — N’y a-t-il pas déjà trop de peuple ? Trop de convives ne se pressent-ils pas déjà au banquet de la vie ? ainsi que l’affirmait l’autre soir Duriveau en citant les exécrables maximes de ses évangélistes à lui… Eh bien ! fermons les tours, se seront dit ces infanticides, ce sera toujours du populaire de moins… et le fils de ta sœur a été de moins.

— Ah ! Claude… c’est affreux ! — dit Martin en cachant son visage dans ses mains, — pitié… pitié.

— Tu as raison… pas d’ironie : de la haine ! — s’écria le braconnier, — oui, honte et exécration sur ce monde, où la venue d’une créature de Dieu n’est pas bénie comme un don divin et accueillie avec autant de reconnaissance que de sollicitude… oui, anathème sur ce monde où celui qui naît pauvre et abandonné, est regardé comme une charge funeste, dangereuse pour la société, parce qu’il a forcément pour avenir presque certain la misère, l’ignorance, le malheur et souvent le crime… Anathème sur ce monde qui m’ôte presque le droit de m’affliger de la mort du fils de ta sœur… tant est affreuse la condition qui attend ses pareils ! Et pourtant… — reprit le braconnier, en cédant à un attendrissement involontaire, — si tu savais ce que c’est que de voir peu à peu pâlir, s’éteindre et expirer sous ses