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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/227

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yeux une pauvre innocente créature… Non… vois-tu ? je ne puis te dire les déchirements de mon cœur pendant cette nuit où, après avoir en vain frappé à l’asile où je comptais déposer l’enfant de ta sœur, je tâchai en vain de le ramener. Hélas ! quoique bien accablé déjà par la maladie et par la fatigue du voyage, il aurait vécu s’il eût trouvé, en arrivant, les soins empressés que réclamait sa faiblesse. mais non… Rien… rien… à cette heure avancée de la nuit… nuit pluvieuse et froide… pas une maison n’était ouverte… je sentais les membres du pauvre enfant se raidir… se glacer ; en vain je les réchauffai de mon haleine ; il tressaillit convulsivement… puis il fit entendre un petit vagissement doux et plaintif ; il sourit comme s’il souriait aux anges, et… il est mort.

Après un moment de silence que Martin n’eut pas la force d’interrompre, le braconnier reprit d’une voix plus assurée :

— Je me fis un pieux devoir de rapporter à ta sœur… son enfant… Pour une mère c’est quelque chose encore que de pouvoir prier et pleurer sur le tombeau de son fils… je regagnai donc mon repaire avec ce triste fardeau. Le jour de mon retour de Vierzon un hasard funeste a fait découvrir ma retraite ; je n’avais pu prévenir Bruyère ; elle apprit en même temps et la mort de son fils et l’accusation d’infanticide qui pesait sur elle… c’était trop… elle a voulu mourir… Tu sais maintenant les souffrances de la victime, — reprit le braconnier, — demain tu sauras l’indigne cruauté du bourreau, tu sauras à quelle violente et infâme surprise ta sœur a succombé… un jour… un seul jour… toujours chaste… quoique souillée… Ce terrible récit… que la honte et la crainte ont toujours retenu sur ses lèvres, et qu’elle n’a fait qu’à moi, presque mourante de confusion… ta sœur… te le fera… à toi… son vengeur naturel… car l’heure a sonné…

— Quelle heure a sonné, Claude ?

— L’heure d’un grand exemple… — répondit le braconnier d’une voix solennelle.

Soudain, Martin s’écria :

— Claude, n’entendez-vous pas le galop de plusieurs chevaux ?

— Depuis un quart d’heure, je l’entends… car mon oreille est plus exercée que la tienne…

— Mais qu’est-ce que cela ? — demanda Martin avec inquiétude.

— Ce sont les gendarmes qui me cherchent ; — répondit froidement Claude. — Ils viennent ici… pour m’arrêter.