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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/239

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Mais le braconnier, se révoltant bientôt contre ces réflexions salutaires et généreuses, s’écria tout à coup :

— Non ! non ! pas de lâche faiblesse !… et toi, qui me prêches la commisération, — s’écria-t-il en s’adressant à Martin avec une ironie cruelle, — du haut de ces régions de clémence et d’espoir, où tu t’égares, vois-tu ta mère… folle ?… vois-tu ta sœur déshonorée… forcée de passer pour morte ou d’être honteusement traînée devant un tribunal, accusée d’infanticide ? Du haut de l’empirée, d’où tu aperçois les signes d’une émancipation prochaine, vois-tu, à côté des figures pâles, éplorées, de ta mère et de ta sœur, vois-tu les figures insolentes et impitoyables du comte et de son fils, crossant du pied leurs victimes ?

— Oui… Claude… je vois Les tristes et douces figures de ma mère et de ma sœur ;… oui, Claude, durant notre long entretien, ces figures chéries ont été là sans cesse devant mes yeux.

— Même quand tu parlais de ramener Duriveau et son fils à des sentiments généreux ! — s’écria le braconnier.

— Surtout à ce moment, mon ami, car je compte sur ma mère… sur ma sœur… pour m’aider à rendre le comte et son fils dignes, un jour… de nous serrer la main… Claude.

— Tu n’y songes pas, — s’écria le braconnier avec stupeur ; — ta mère… ta mère est…

— Ma pauvre mère est folle, — dit Martin d’une voix douce et ferme ; — je rendrai la raison à ma mère…

— Et l’honneur à ta sœur ?…

— Et l’honneur à ma sœur…

Martin parlait avec un accent, avec une autorité de conviction si profonde, si imposante, qu’un moment ses espérances… furent partagées par le braconnier… mais soudain, se reprochant cette faiblesse, il reprit : Tu railles.. adieu…

— Claude… — s’écria vivement Martin, avec un accent de douloureux reproche, — je parle de ma mère… de ma sœur… de ma mère, privée de sa raison ; de ma sœur… déshonorée… et vous dites que je raille ?

— Pardonne-moi, — dit le braconnier, en tendant sa main à Martim, — pardonne-moi… non, non, vaillant et généreux cœur… non… tu ne railles pas ; mais… tu t’abuses… Arriver aux fins que tu te proposes… serait… mais non… non, c’est impossible ; encore une fois tu t’abuses… Ton illusion est sacrée… je la respecte ;… mais moi…