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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/241

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— Et vous, mon gaillard, l’ami intime de ce gueux de Bamboche, qui s’est fait saluer par mes gendarmes, j’avais bien raison de dire à M. le comte : Rusons… rusons… n’ayons l’air de rien… Nous n’avons eu l’air de rien, et vous êtes pincé.

— Et de quoi m’accuse-t-on ?… — demanda froidement Martin.

— De quoi l’on vous accuse, mon gaillard ? d’avoir été dans la connivence de la per-pé-tration du coup de feu tiré sur M. le comte il y a trois jours…

— Moi ! — dit Martin en haussant les épaules, — mais j’ai été blessé… légèrement il est vrai.

— Raison de plus, frime bien jouée… je le dis, mon malin… mais dans quoi je ne donne pas… Vous saviez si bien cette vermine de Bête-Puante caché dans le massif, que vous avez voulu faire retirer M. le comte de la fenêtre qui donnait sur ledit massif, de peur que M. le comte n’y découvrit Bête-Puante… Vous étiez si bien son complice, que, pour favoriser son évaporation, vous avez donné un signalement qui ressemble au sien comme je ressemble à quelqu’un de très-laid…

Puis, s’interrompant, Beaucadet ajouta :

— Mais tenez, voilà justement M. le comte et son fils, je les avais fait prévenir… Ils ont voulu venir s’assurer par eux-mêmes de votre scélératesse, mon gaillard.

En effet, l’on vit bientôt descendre d’une légère voiture de chasse le comte Duriveau et son fils. Malgré la gravité de la scène qui s’était dernièrement passée entre eux, la meilleure, la plus cordiale intelligence régnait entre le père et le fils ; le comte, en un mot, semblait avoir oublié ses regrets passagers et avoir repris son rôle de jeune-père à l’égard de Scipion.

Instruits de ce fait, fort grave en soi, ainsi présenté : que l’explosion dont on a parlé résultait d’une tentative de meurtre sur le comte, et qu’un de ses gens, complice du coupable, avait avec lui des entrevues nocturnes, M. Duriveau et son fils, prévenus par Beaucadet de l’arrestation qu’il allait tenter, voulurent y assister afin de s’assurer par eux-mêmes de la vérité.

À la vue du comte, Beaucadet s’écria :

— Victoire… nous les tenons les brigands, Monsieur le comte, … votre domestique a filé… doux comme miel… Je lui rends justice… il a été au-devant des poucettes… mais la Bête-Puante s’est débattue comme une bête enragée.