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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/242

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La lune brillait toujours. Le comte et Scipion s’approchèrent du groupe de soldats, au milieu duquel se trouvaient Martin et le braconnier.

— Ainsi, mauvais drôle, — dit le comte à Martin avec un dur mépris, — vous aviez, sans doute, avant d’entrer à mon service… des accointances avec ce misérable vagabond, qui, non content de braconner mon gibier… en veut, à ce qu’il paraît, à ma vie… et moi, qui vous ai pris de confiance… Croyez donc aux certificats… aux bons renseignements…

— Es-tu jeune ?… — dit Scipion en haussant les épaules.

— Autant croire aux qualités des chevaux vendus par un maquignon… chevaux et valetaille ne se connaissent qu’à l’usé…

Martin, calme et pensif, sourit doucement et ne répondit rien.

— Et toi… — dit le comte en faisant un pas vers le braconnier, — et toi, gredin, pourquoi voulais-tu ?…

— Je m’appelle Claude Gérard, dit le braconnier d’une voix solennelle, en interrompant le comte.

— Claude Gérard ! — s’écria M. Duriveau, en reculant pâle et frappé de stupeur.

Puis se rapprochant vivement du braconnier pour mieux voir sa figure et se convaincre d’une identité à laquelle il ne pouvait croire, il reprit, après quelques minutes d’examen :

— C’est lui… c’est bien lui…

— Qu’est-ce que ça… Claude Gérard ? — demanda Scipion en allumant un cigare, pendant que Beaucadet et ses gens se regardaient entre eux, très-surpris aussi de l’incident.

— Claude Gérard !… — reprit encore le comte avec un étonnement profond et comme écrasé par les souvenirs que le nom du braconnier éveillait en lui.

— Duriveau… comprends-tu… maintenant ? — dit le braconnier au comte qui, d’abord muet, accablé, releva bientôt la tête. Alors, le front hautain, la lèvre ironique et dédaigneuse, il s’écria en croisant ses bras sur sa poitrine :

— Ah ! c’est vous, Monsieur l’homme de bien, l’homme aux épîtres. C’est vous qui, caché sous un nom de guerre, vagabondiez depuis si longtemps dans mes bois et aviez l’insolence de me poursuivre de vos moralités épistolaires ? Et moi qui vous croyais si loin d’ici ! Et vous me demandez si je comprends ! Pardieu… je comprends, et de reste… Votre pathos ne pouvait me toucher le cœur… Vous