Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/246

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plaisait à braver, il n’aurait pas affiché cette impitoyable dureté (quoiqu’il eût donné des ordres pareils à l’exécution desquels, du moins, il n’assistait pas) ; mais la crainte de paraître céder à l’intimidation, jointe à l’inexorable conscience qu’il avait, après tout, de son droit légal, auquel d’habitude il sacrifiait tout, poussa le comte à cette déplorable extrémité.

Ce qui fut dit fut fait.

En suite d’une scène déchirante que l’on se représente facilement, le métayer et sa femme furent ainsi cruellement chassés de la métairie, au milieu de la nuit, malgré leurs supplications.

Le braconnier et Martin assistèrent, muets et impassibles, à cette exécution.

Lorsqu’elle fut terminée, le comte dit au braconnier, d’un air de dédain et d’ironique défi :

— Maintenant, Claude Gérard, au revoir, si vous l’osez… il ne dépendra pas de moi que vous soyez bientôt libre… et… je vous attends… de pied ferme.

Le comte, accompagné de son fils, s’éloignant, bras dessus, bras dessous, regagna sa voiture.

Au moment où ils allaient y monter, Beaucadet dit à M. Duriveau :

— Monsieur le comte… une fameuse idée… ce brigand de Martin a peut-être encore des complices chez vous ; avant qu’on ne sache qu’il est pincé, faites, en arrivant, une petite visite domiciliaire dans sa chambre… et emportez-en la clef jusqu’à demain… Comme ça, rien ne sortira de chez lui avant notre perquisition, que nous satisferons délicieusement dès l’aurore.

— Vous avez raison, mon brave, — dit le comte ; — je n’y manquerai pas, tout à l’heure, à mon retour au château.

La voiture où montèrent le père et le fils s’éloigna rapidement.

— Allons, en route, mauvaise troupe, — dit Beaucadet, en revenant auprès de ses deux prisonniers.

— Eh bien ! Martin, — dit lentement le braconnier, — tes espérances !… tes illusions ?… Pauvre noble cœur ! pauvre fou !…

Martin ne répondit rien… et baissa la tête avec accablement.

Quelques moments après, les prisonniers et les gendarmes s’éloignaient de la métairie du Grand-Genévrier.

Maître Chervin et sa femme, fondant en larmes, frissonnant de froid, étaient assis sur la paillasse de leur lit jeté sur la berge de l’étang, à quelques pas des bâtiments de la ferme…