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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/245

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Si nous sommes en retard de payement, c’est pas notre faute… et si pourtant vous nous chassez, mon cher seigneur du bon Dieu, qu’est-ce que nous allons devenir, mon pauvre homme et moi, à notre âge ?…

— Hélas ! c’est bien vrai, — reprit le métayer qui, plus confus que sa femme, n’avait pas osé parler, — qu’est-ce que vous voulez que nous devenions, Monsieur le comte ?

M. Duriveau avait d’abord dédaigneusement écouté cette humble supplique ; mais, songeant soudain qu’il trouvait dans cette circonstance l’occasion de mettre, pour ainsi dire, en action son mépris pour le serment qu’il avait fait autrefois à Claude Gérard, il lui dit :

— Vous entendez, Monsieur l’homme de bien, vous entendez vos frères en humanité, comme vous dites… je suis, pardieu ! ravi de l’aventure et de pouvoir ainsi vous prouver le cas que je fais d’une promesse arrachée par la violence… et que tout homme désarmé aurait faite à ma place pour se soustraire aux griffes d’une espèce de bête féroce… Soyez bien attentif à ce qui va se passer, Monsieur Claude Gérard ; et, puisque vous prétendez n’avoir pas tiré sur moi, ce qu’il vous sera facile de prouver dès que vous serez libre… nous verrons si vous oserez exécuter la menace que vous avez eu l’excessive bonté de ne pas exécuter jusqu’ici… Je ne veux pas vous laisser manquer même de prétexle… c’est délicat à moi, n’est-ce pas ?

Puis, se tournant vers Beaucadet, le comte ajouta :

— Maréchal des logis, la saisie du mobilier de cette ferme, qui m’appartient, a été prononcée, l’expertise faite ; je vous prie, en prenant d’ailleurs sur moi toute responsabilité, d’expulser à l’heure même le métayer de cette maison ; et, afin que rien ne soit détourné, d’y laisser un de vos hommes jusqu’à demain matin : j’enverrai quelqu’un à moi prendre possession…

— Hélas ! mon Dieu ! nous chasser… à cette heure… — s’écria la métayère épouvantée, — faible et malade comme l’est mon pauvre homme… pour lui… mais c’est à en mourir, mon cher bon seigneur.

— Donnez-nous quelques jours… par pitié… Monsieur le comte !.. — dit le métayer d’une voix suppliante.

— Que leur lit… que la loi laisse aux expropriés… soit à l’instant mis hors de la métairie, dit froidement le comte en s’adressant à Beaucadet.

Si son détestable orgueil n’eût pas été exaspéré par la présence du braconnier, reproche vengeur, remords vivant, que le comte se