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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/276

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dront… deux ans de moins vaudraient mieux ; mais il est d’âge encore…

Cet examen, qui redoublait toutes mes terreurs, terminé, la Levrasse me dit :

— Tu ne veux pas retourner chez ton maître ?

— Oh non ! j’ai trop peur.

— Tu as raison… il te clouerait à sa porte par les oreilles, ou te ferait pis encore.

Je frissonnai.

— Où coucheras-tu cette nuit ?

— Je ne sais pas…

— Et les autres nuits ?

— Je ne sais pas.

— Tu mourras de froid dans ce bois, ou tu y seras mangé par les loups.

Je me mis à pleurer amèrement.

— Allons, voyons, ne pleure pas… tu t’appelles Martin ?

— Oui, Monsieur.

— Eh bien, Martin, pour cette nuit je te logerai… après, nous verrons… tu vas monter sur mon âne…

Malgré la position désespérée où je me trouvais, loin d’accepter l’hospitalière proposition de la Levrasse, je poussai un cri d’effroi ; et, me levant brusquement, je me sauvai avec épouvante ; mais la Levrasse, me rattrapant en deux bonds avec une agilité surprenante, s’écria :

— Ah !… tu as peur de moi…

— Oui…

— Tu me refuses ?…

— J’aime mieux mourir dans ce bois, être mangé par les loups, que d’aller avec vous ! — m’écriai-je, les mains jointes, en tombant à genoux.

— Et pourquoi as-tu peur de moi, mon petit Martin ? — me dit la Levrasse d’un ton doucereux qui, loin de diminuer ma frayeur, l’augmentait encore, — ne crains rien… Je serai ton protecteur…

— J’aime mieux retourner chez mon maître.

— Il est trop tard… tu ne le reverras plus, — me dit le colporteur.

Et le colporteur m’enlaça de ses bras noueux, surmonta facilement ma faible résistance, tira une courroie de sa poche, m’attacha solidement les mains derrière le dos et, m’enlevant comme une