Aller au contenu

Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/279

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Resté seul et réchauffé par l’ardeur du brasier, je commençai à reprendre mes esprits, car jusqu’alors j’avais cru rêver.

Bientôt je regardai autour de moi avec un mélange de frayeur et de curiosité ; les fagots de peuplier, mêlés de sarments de vigne, pétillaient dans le foyer en mille jets de flamme bleue et blanche, et épandaient par bouffées leur odeur aromatique et salubre, Cette gaie lumière suffisait à éclairer les murailles nues et blanches de cette chambre.

Ayant par hasard levé les yeux vers le plafond, je m’aperçus seulement alors que, des solives saillantes, pendaient soigneusement étalées, lissées et étiquetées, un grand nombre de longues chevelures de toutes couleurs, blondes, brunes, châtaines et même rousses ; il en était de si épaisses, de si luisantes, qu’on eût dit d’énormes écheveaux de soie.

Ce spectacle étrange me remplit d’un nouvel effroi ; je m’imaginais que ces chevelures avaient appartenu à des cadavres ; dans mon illusion, il me sembla même que plusieurs d’entre elles étaient ensanglantées ; de plus en plus épouvanté, je courus à la porte, elle était solidement fermée ; ne pouvant fuir, je m’appliquai à ne plus lever les yeux vers l’effrayant plafond.

La vue des autres objets qui m’entouraient fit une heureuse diversion à ma peur : la grande caisse de bois servant de lit était remplie de feuilles de maïs bien sèches, sur lesquelles je vis à demi dépliée une épaisse couverture de laine ; le lard que l’on m’avait servi me paraissait fort appétissant : le pain était blanc ; la bière, fraîchement tirée sans doute, couvrait d’une mousse épaisse les bords du cruchon de grès ; de ma vie je n’avais eu à ma disposition un si bon gîte, un si bon lit, un si bon repas ; pourtant il me fut impossible de toucher à ce souper ; je n’osais pas même, malgré ma fatigue, m’étendre sur la couche de maïs ; je m’assis en tremblant sur les carreaux du sol, auprès du foyer dont la chaleur réchauffait mes membres engourdis.

En me voyant au pouvoir du colporteur dans un lieu inconnu, il me semblait avoir quitté mon maître depuis un long espace de temps, et être à une énorme distance de notre masure, dont je ne m’étais pourtant éloigné que depuis quelques heures ; parfois je me croyais encore sous l’empire de l’ivresse ; alors les événements dont j’étais