Aller au contenu

Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/282

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

commençait à poindre le jour naissant ; elle était grillée au dehors…

Alors, saisi d’un désespoir indicible, je me jetai sur la couche de maïs, en m’écriant d’une voix entrecoupée de sanglots :

— Qui aura pitié de moi ?… Personne… personne… je suis sans père ni mère !

Soudain ma porte s’ouvrit, la Levrasse parut.

— Bonjour, petit Martin, — me dit la Levrasse de sa voix doucereuse, en s’approchant de mon lit, me croyant sans doute endormi, car je m’étais couché à plat ventre, cachant ma figure entre mes mains ; la Levrasse ajouta :

— Nous dormons donc comme un petit loir ?

Et il me secoua légèrement ; je me redressai, le visage ruisselant de larmes. Je m’écriai, les mains suppliantes :

— Laissez-moi m’en aller d’ici… et retourner chez mon maître.

— Comment ? comment ? t’en retourner, petit Martin ? — dit la Levrasse d’une voix aigre-douce.

— Je ne veux pas rester ici !

La Levrasse partit d’un grand éclat de rire.

— Ah ! ah ! ah ! tu veux retourner chez le Limousin, pour qu’il te cloue les oreilles à sa porte, n’est-ce pas ?

— J’aime mieux mourir chez mon maître que de mourir ici.

Et, sautant du lit où j’étais demeuré agenouillé, suppliant, je me précipitai vers la porte entr’ouverte : cette folle tentative de fuite fut vaine ; la Levrasse me rattrapa sur le seuil, et me ramena vers le lit en me disant :

— Sois donc sage, petit Martin… Tu veux te sauver… pour aller chez ton maître ? Tu es fou… Qui l’enseignera ton chemin ? personne ; il n’y a pas d’habitation dans les bois que nous avons traversés ; aussi ce soir tu serais, comme je t’ai trouvé hier, près de mourir de froid ou d’être mangé par les loups. Et puis enfin… — ajouta la Levrasse d’un ton menaçant, — je ne veux pas, moi, que tu sortes d’ici. Sois tranquille, les portes sont bonnes et les murailles hautes : lorsque je quitterai cette maison, tu viendras avec moi, et — ajouta-t-il en reprenant sa voix doucereuse, — tu n’en seras pas fâché, petit Martin.

Me voyant absolument au pouvoir de la Levrasse, je n’essayai ni de l’apitoyer sur mon sort, ni de changer sa résolution ; retombant sur ma couche, je poussai cette plainte, qui formulait toujours la suprême expression de mon désespoir :