Aller au contenu

Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/287

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Quand, avec ça, tu seras orné d’un maillot couleur de chair, d’un caneçon à paillettes et de brodequins verts bordés de peau de chat, tu auras l’air d’un vrai chérubin, — ajouta la mère Major, — Maintenant va trouver, si tu veux, Bamboche dans sa cave, sinon joue dans la cour… je vous appellerai pour becqueter la pâtée.

La mère Major alla rejoindre la Levrasse ; je restai seul dans une assez grande cour, entourée de hautes murailles délabrées, mais solidement fermée par une lourde porte. Sur cette cour s’ouvraient les fenêtres de la maison d’assez misérable apparence ; sous un hangar était une grande et longue voiture, servant sans doute aux pérégrinations de la Levrasse et de sa troupe, lorsqu’elle était au complet.

La hauteur des murs m’empêcha de voir si cette demeure attenait ou non à un bourg, à un village ou à d’autres habitations.

Abandonné à mes réflexions, je ne pensai qu’à cet enfant dont la mère Major venait de me parler, et dont j’avais entendu les cris. Si pénible que dût être ma nouvelle existence, elle ne pouvait guère être plus rude, plus misérable que par le passé, et d’ailleurs ne la partagerais-je pas avec un enfant de mon âge ? À cette seule pensée de trouver enfin un compagnon, un ami… la condition la plus dure me semblait supportable.

J’avais été jusqu’alors si malheureux dans mes tentatives d’affection, que la rencontre de Bamboche, dans les circonstances où elle se présentait, doublait de prix à mes yeux ; mon cœur, jusqu’alors si douloureusement oppressé, se dilata ; à mes angoisses succédèrent de vagues espérances. J’oubliai dans ce moment la frayeur où m’avait jeté l’attente de ces mystérieux exercices, auxquels j’étais condamné et qui la nuit avaient arraché à Bamboche des cris si déchirants : je ne songeai qu’à aller retrouver ce malheureux enfant : il souffrait, il était puni, je crus faire acte de bon compagnonnage, et me concilier son affection en allant à lui.

La mère Major m’avait indiqué la porte de la cave où il était renfermé, j’y courus aussitôt.

L’escalier voûté donnait sur la cour, je descendis quelques degrés encore couverts de neige, et j’arrivai à une sorte de palier, sur lequel s’ouvrait la porte de la cave. Mes yeux s’étant familiarisés avec les ténèbres, que tranchait durement un rayon de vive lumière tombant par un étroit soupirail, je pus distinguer Bamboche accroupi dans un coin de la cave, les coudes sur ses genoux, le menton appuyé dans le creux de ses deux mains.