Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/288

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Je fus d’abord frappé de l’éclat sauvage des grands yeux gris de cet enfant ; ils me semblaient d’autant plus énormes, que sa pâle figure était plus maigre ; il paraissait avoir de douze à treize ans, sa taille était beaucoup plus élevée que la mienne ; ses joues creuses faisaient paraître ses pommettes très-saillantes ; sa bouche, aux coins abaissés, aux lèvres presque imperceptibles, lui donnait un air sardonique et méchant ; ses cheveux, noirs, rudes, coupés en brosse, étaient plantés très-bas et de telle sorte, qu’après avoir contourné le haut du visage, ils remontaient en pointe vers les tempes qu’ils découvraient entièrement ; la noire racine de cette chevelure se dessinait si bizarrement sur la mate pâleur du front, que, dans l’ombre, il paraissait armé de deux cornes blanches.

Bamboche portait une mauvaise blouse trouée ; ses pieds nus reposaient sur la terre humide de la cave ; à mon aspect, il resta muet et me jeta un regard surpris et farouche.

— Tu dois avoir bien froid et t’ennuyer dans cette cave, — lui dis-je doucement en m’approchant de lui, — veux-tu venir en haut ?

— F… moi la paix, je ne te connais pas, — me répondit brutalement Bamboche.

— Je ne te connais pas non plus, mais je dois comme toi rester ici avec la Levrasse. Cette nuit, quand on t’a battu, je t’ai entendu crier… cela m’a fait bien de la peine.

Bamboche se mit à rire, et répondit :

— Est-il couenne, ce petit N… de D…-là… ça ! lui fait de la peine quand on bat les autres…

Tel était le langage de cet enfant de douze ans… tel il fut durant notre conversation, dont je supprimerai les jurons et les blasphèmes qui l’accentuaient à chaque phrase.

Aussi affligé qu’étonné de la réponse de Bamboche, je repris doucement :

— Cela m’a fait du chagrin de savoir qu’on te battait ; si l’on me battait, moi… ça ne te ferait donc pas de peine ?

— Ça me ferait plaisir… je ne serais pas seul battu.

— Pourquoi m’en veux-tu ?… je ne l’ai jamais fait de mal.

— Ça m’est égal.

— Tu es donc méchant… toi ?

— Va-t’en !…

— Je t’en prie… écoute-moi…