Aller au contenu

Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/289

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Tiens ! tu en veux… empoigne !

Et Bamboche, dont je ne me défiais aucunement, s’élança avec l’agilité d’un chat ; plus robuste que moi, il me terrassa, puis d’une main me saisissant à la gorge, sans doute pour étouffer mes cris, de son autre main il me frappa au visage, à la poitrine, partout où il put.

D’abord étourdi de cette brusque attaque, je n’essayai pas de me défendre ; mais bientôt, excité par la douleur, par la colère que m’inspirait une si méchante action, je me dégageai des mains de Bamboche, je luttai, je lui rendis coup pour coup, je parvins même à renverser mon adversaire, le tenant alors, malgré ses efforts, immobile sous mon genou, je ne voulus pas abuser de ma victoire ; mais plus attristé qu’irrité de cette façon sauvage d’accueillir mes avances amicales, je lui dis :

— Pourquoi nous battre ? il vaut bien mieux être amis…

Et abandonnant l’avantage de ma position, je laissai à Bamboche la liberté de ses mouvements ; il en profita, se jeta sur moi avec une furie croissante, et me mordit si cruellement à la joue que mon visage s’ensanglanta.

La vue du sang changea la colère de Bamboche en frénésie ; ses yeux flamboyèrent de férocité ; il ne me battit plus, s’étendit sur moi et déchira mon sarrau pour me mordre à la poitrine…

Je crus qu’il allait me tuer ;… je ne fis plus aucune résistance ; ni la peur ni la lâcheté ne paralysaient mes forces ; c’était un profond désespoir, causé par la gratuite méchanceté de cet enfant de mon âge, pour qui j’avais éprouvé une sympathie soudaine.

Je n’opposai plus aucune résistance ; ma douleur morale était si intense, que je ressentais à peine les morsures aiguës de Bamboche : je ne me plaignais pas, je pleurais en silence…

Les caractères violents, vindicatifs, s’exaspèrent toujours dans la lutte ; cette excitation les enivre ; lorsqu’elle leur manque, souvent ils s’apaisent faute de résistance : il en fut ainsi de mon adversaire : il se releva, les lèvres couvertes de mon sang, et me crut évanoui.

Le soupirail de la cave projetait assez de clarté pour que Bamboche distinguât parfaitement mes traits, lorsqu’il m’eut de nouveau renversé sous lui ; je le regardais fixement et sans colère… Il m’a dit depuis, que ce qui l’avait surtout frappé, c’était l’expression de résignation douce et triste, empreinte sur ma physionomie ; il n’y trouva ni haine, ni colère, ni frayeur… mais un chagrin profond…