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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/295

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de cognée… Il a tombé… le sang sortait de sa jambe comme par un robinet et sautait à dix pas.

— Ah ! mon Dieu !

— Moi, j’avais peur, je pleurais, je criais, — dit Bamboche d’une voix émue, — j’appelais au secours de toutes mes forces.

— Hélas ! je le crois bien.

— Mon père, lui, tenait sa jambe serrée entre ses deux mains pour empêcher le sang de couler ; mais ça coulait tout de même à travers ses doigts, et il me disait : Petit, arrache de la mousse… apporte-m’en… vite… vite ; moi j’en arrachais tant que je pouvais et je l’apportais à mon père qui la tamponnait bien serrée sur sa blessure, mais presque tout de suite la mousse devenait rouge…

— Le sang ne s’arrêtait pas ?

— Non ; alors mon père m’a dit : Petit, apporte de la terre humide, ça arrêtera peut-être le sang mieux que de la mousse.

— Eh bien ?

— La terre devenait tout de suite rouge comme la mousse, et puis la voix de mon père commençait à défaillir.

— On ne pouvait donc avoir de secours nulle part ?

— Des secours !… — et Bamboche haussa les épaules. — Mon père me dit : — Petit, cours au grand carrefour qu’on a coupé à blanc : il y a un laboureur qui défriche à la charrue, je l’ai vu ce matin ; tu lui demanderas de l’aide. — J’y cours. — Mon père vient de s’abattre à moitié la jambe, et il demande de l’aide, — dis-je au laboureur ; — le village est-il loin ? — Hélas ! mon Dieu, mon cher petit, est-ce qu’il y a des chirurgiens dans les villages ? on y est trop pauvre… c’est bon pour les gros bourgs, et le plus proche est à quatre lieues d’ici. — Mais vous, venez au secours de mon père. — J’y connais rien aux blessures, je ne suis pas berger, moi, — me répond le laboureur, — et puis je ne peux pas quitter mes chevaux ; ils se mangeraient, briseraient tout, et mon maître me chasserait. — Enfin, je prie tant le laboureur, qu’il vient ; mais il n’avait pas fait dix pas avec moi, que voilà ses chevaux qui commencent à se mordre… à se battre. — Tu vois bien, — me dit-il, — je ne peux pas aller avec toi. — Et il court à ses chevaux, moi je retourne auprès de mon père…

— Quel malheur !

— Quand je suis arrivé près de lui, il était toujours à la même place, courbé en deux, tenant à deux mains sa jambe, au milieu