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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/301

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dans une grange ; on devait le lendemain nous conduire à la ville ; la nuit, en me réveillant, j’ai vu le cul-de-jatte qui perçait le mur pour se sauver sans moi, je lui ai dit que s’il ne m’emmenait pas avec lui, j’allais crier ; il a eu peur, je l’ai aidé, nous nous sommes enfuis… Une fois loin, il m’a dit : — Toi, tu me gênes, tu me feras reconnaître, — et il m’a donné un grand coup de bâton sur la tête ; je suis tombé du coup sans connaissance, j’ai cru que j’étais mort, mais j’ai la caboche dure, j’en suis revenu. Quand j’ai été tout seul, j’ai encore mendié le long des routes et à la porte des postes aux chevaux ; je faisais la roue devant les voitures, j’attrapais quelques sous, et finalement je n’étais jamais plus d’un jour sans manger. Il y a un an, j’ai rencontré la Levrasse avec son monde et son fourgon ; Je faisais la roue devant lui pour qu’il me donne un sou ; il a trouvé que j’étais leste, il m’a demandé si j’avais des parents.

— Comme à moi.

— Je lui ai dit que non, que je n’avais pas de parents et que je mendiais. Il m’a dit que si je voulais, il m’apprendrait un bon état, me donnerait de beaux habits, bien à manger, quelques sous pour moi, et qu’au lieu d’aller à pied j’irais en voiture… J’ai accepté… il m’a fait monter dans sa voiture, m’a dit que je m’appellerais Bamboche au lieu de Pierre. Depuis je suis resté avec lui… et j’y resterai jusqu’à ce que…

Bamboche s’interrompit.

— Jusqu’à quand resteras-tu avec lui ?

— Ça me regarde, — répondit Bamboche d’un air sombre et pensif.

— Mais cet état que la Levrasse devait t’apprendre ?

— Voilà un an que je l’apprends… Tu l’apprendras aussi… tu verras ce que c’est.

— Qu’est-ce qu’on a donc à faire ?

— Des tours de force pour amuser le monde.

— Pour amuser le monde ?

— Oui, dans les foires.

Je regardai Bamboche avec surprise.

— Eh ! oui… j’ai déjà travaillé en public ; la mère Major me tenait par les pieds, j’avais la tête en bas, les bras croisés, et je ramassais une pièce de deux sous avec mes dents ; ou bien elle m’attachait une jambe à mon cou, et je pirouettais sur l’autre jambe… et d’autres tours encore…