Aller au contenu

Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/307

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bah ! voilà-t-il pas l’animal qui me dit en sanglotant : — Allez-vous-en, Monsieur, allez-vous-en, je garde Jeannette… Si nous mourons de faim, eh bien ! nous mourrons de faim, mais elle ne me quittera pas. — Alors, tu ne l’as donc pas, cette petite Basquine ? — dit à la Levrasse la mère Major, qui n’en était pas fâchée par jalousie, — ajouta Bamboche en manière de parenthèse. — Attends donc la fin, — reprend la Levrasse, — je dis au charron : — Écoutez, mon brave : je ne veux pas abuser de votre position : réfléchissez, je vous donne jusqu’à demain midi ; ce n’est plus cent francs, mais trois cents francs que je vous offre pour Jeannette ; vous me trouverez demain jusqu’à midi à l’auberge du Grand-Cerf, et, plus tard, si vous vous ravisez, vous pourrez m’écrire à l’adresse que je vous laisse. — Là-dessus, j’ai quitté le charron, et je suis sûr qu’il m’arrivera demain matin, au chant du coq, avec sa blondinette. »

— Eh bien ! est-il venu ? — demandai-je à Bamboche.

— Non, mais moi qui, en faisant semblant de dormir, avais entendu la Levrasse dire à la mère Major tout ce que je viens de te raconter, curieux de voir la nouvelle Basquine, je me lève de grand matin, je sors de l’auberge, je demande l’adresse du charron, j’y cours… et…

Le récit de Bamboche fut interrompu par la grosse voix de la mère Major, qui cria du haut de la porte de l’escalier de la cave :

— Ohé ! Martin… Bamboche… à la pâtée !!

— On nous appelle, — me dit précipitamment mon nouvel ami, — je te dirai le reste une autre fois ; mais, arrivé chez le charron, ce que j’ai vu, ce que j’ai entendu de Jeannette m’a rendu si amoureux d’elle… si amoureux !! que, depuis ce jour-là, je ne fais plus qu’y penser. Son père n’a pas voulu la donner cette fois-là ;… mais, il y a huit jours, j’ai entendu la Levrasse dire à la mère Major que le charron venait de lui écrire… et que dès qu’un homme-poisson qu’il attend serait arrivé ici, nous partirions, et que nous passerions par le bourg du charron, pour prendre avec nous Jeannette, la nouvelle Basquine.

— Mais, tonnerre de Dieu !… vous êtes donc sourds ?… — cria de nouveau la mère Major. — Faut-il que je descende… crapauds ?

— Nous voilà ! Madame, nous voilà ! — m’écriai-je. Puis me jetant au cou de Bamboche, je lui dis avec effusion :