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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/31

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père, ne bénéficiait nullement, bien entendu, prétendant qu’un jeune père est le créancier né de son fils.

Celui-ci, avec toute la réflexion, toute la maturité de l’expérience, cherchait, triait, appréciait… et choisissait, dans sa paternelle sollicitude, la première maîtresse de son fils.

Un autre avait pour principe inflexible d’enivrer d’abord son enfant chéri avec du vin exécrable, afin de lui inspirer de bonne heure, disait-il, une profonde, invincible et salutaire horreur… pour le mauvais vin.

Deux ou trois de ces jeunes pères, gens du meilleur et du plus grand monde, étaient amis du comte Duriveau. Déjà fort glorieux de la gentillesse de son fils, il lui parut de très-grand air, dans sa manie d’imitation nobiliaire, d’être jeune père tout comme un autre ; cela sentait sa régence d’une lieue ; car M. le maréchal de Richelieu s’était montré tel dans ses rapports avec son fils, M. de Fronsac.

Le comte Duriveau fut donc bientôt cité parmi les plus fringants jeunes pères de Paris ; il mit son orgueil, toujours l’orgueil, à voir Scipion éclipser les fils des autres jeunes pères, de sorte qu’à dix-sept ans, Scipion avait cent louis par mois pour ses menus plaisirs, un appartement séparé dans l’hôtel paternel, six chevaux dans l’écurie du comte et sa place avec lui dans une loge d’hommes à l’Opéra, location qui donnait de droit entrée dans les coulisses.

Il est inutile de dire combien Scipion, avec sa délicieuse figure et ses dix-sept ans, fut fêté dans ce voluptueux pandemonium, où il fut solennellement présenté par son père. Quelques mois après, l’adolescent comptait le nombre de ses faciles maîtresses ; à dix-huit ans, il avait lestement tué son homme en duel, son père lui servant de témoin, et, plus d’une fois, le jour naissant surprit le comte et son fils au milieu d’une folle et bruyante orgie égayée par des impures en renom.

Si étrange que semble ce système d’éducation, pour peu que l’on sache le monde, on est obligé de s’avouer ceci :

À savoir, qu’étant données la position sociale et la fortune du vicomte Scipion Duriveau, sur cent jeunes gens, riches et oisifs, quatre-vingt-dix, tôt ou tard, plus ou moins, vivront de la vie que menait Scipion ; seulement, cette vie, ils la mèneront, grâce à des ressources usuraires, à l’insu ou malgré les sévères remontrances de leurs familles, dont ils convoiteront l’héritage avec une impatience légèrement parricide.