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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés I (1850).djvu/30

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d’être riche, il voulut devenir noble… comme tant d’autres. Son mariage avec la fille d’un duc de l’empire rallié à la restauration l’affubla d’un titre de comte, et Adolphe Duriveau, le fils du père Duriveau, l’aubergiste usurier, spoliateur indigne, se crut comte et s’appela très-sérieusement le comte Duriveau. Sa femme, morte fort jeune, lui laissa un fils, Scipion, vicomte Duriveau, s’il vous plaît.

Le bonheur, ou plutôt l’orgueil d’Adolphe Duriveau s’était concentré, résumé, dans ces deux belles choses : — être un des grands propriétaires de France, — et se faire appeler monsieur le comte par ses laquais, ses fournisseurs et ses fermiers ; plus tard, une vélléité d’ambition politique (nous en expliquerons la cause) se joignit à ces vanités.

Archimillionnaire et comte, il ne rêva pas d’autre avenir, d’autre félicité possible pour son fils. Et peut-être encore plus glorieux que cupide, il vit, dans cet enfant, un nouveau moyen d’étaler et de faire envier son opulence. À quinze ans, Scipion Duriveau, d’une figure ravissante, d’une intelligence précoce, élevé par un gouverneur de grande maison… c’est tout dire, devint un nouvel aliment pour l’orgueil de son père, tout glorieux de produire ce trésor de gentillesse et d’impertinence.

Il existait alors dans la très-bonne compagnie de Paris ce qu’on appelait les jeunes pères.

C’étaient de plus ou moins jeunes veufs, gens d’esprit et de plaisirs, beau joueurs, gais viveurs, et que tutoyaient généralement les plus considérables des filles entretenues de Paris : ces jeunes pères, partant de ce principe, excellent en soi : qu’il n’est rien de plus odieux, de plus funeste par ses conséquences, que la lésinerie et que la tyrannie paternelle qui, privant les enfants de tout plaisir, de toute liberté, dans l’espoir d’en faire de petits saints, n’en fait que de mauvais diables, ces jeunes pères affectaient, au contraire, la tolérance la plus excessive, et souvent même… plus que de la tolérance.

Ainsi, celui-là, père de deux petites filles charmantes, âgées de six ou sept ans, les conduisait au théâtre, où de tendres liens le rendaient assidu ; et la grâce, le babil enfantin de ces petits anges faisaient les délices et l’admiration des comédiennes.

Il entrait dans le plan d’éducation pratique d’un autre jeune père de posséder les premières lettres de change de son fils. (Il appelait cela : la virginité de l’acceptation.) Pour ce faire, il lui facilitait sous main des emprunts en apparence effroyablement usuraires, dont lui,